Niveau juridique : Union européenne
Présenation du document par Euroseeds (traduction par nos soins) :
« Le Conseil d’administration d’Euroseeds du 04.06.2024 a adopté à l’unanimité le nouveau « Point de vue sur la propriété intellectuelle » de l’association.
Cette nouvelle prise de position est destinée à contribuer pleinement à la révision prochaine de la législation européenne sur les droits d’obtention végétale et à la préparation de l’étude de la Commission sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques, avec une attention particulière sur les brevets pour les plantes NGT.
Le processus d’élaboration du document a pris en compte le large éventail de points de vue des membres d’Euroseeds sur la meilleure façon de mettre en place un système de propriété intellectuelle équilibré et propice à l’innovation dans le domaine de la sélection végétale. Bien que de nombreux principes et demandes concrètes soient partagés par tous les membres d’Euroseeds ou par une très large majorité d’entre eux, il existe également des divergences fondamentales de points de vue, notamment en ce qui concerne la dimension suffisante d’un système unique de protection des obtentions végétales ou la préférence pour un tel système par rapport à une combinaison avec des brevets biotechnologiques, et en ce qui concerne le soutien ou le rejet d’une limitation de la brevetabilité ou des effets des brevets.
Le nouveau point de vue d’Euroseeds sur la propriété intellectuelle apporte de la transparence sur le fondement de ces différents points de vue qui sont enracinés dans le large éventail d’entreprises et leur diversité en termes de taille, d’orientation et de modèles commerciaux différenciés.
Le document se termine par une série d’objectifs et de demandes concrètes en matière de protection et de gestion de la propriété intellectuelle, sur lesquels le secteur européen de la sélection végétale est uni. »
Analyse du document
Dans ce document, Euroseeds, l’organisation européenne qui représente le secteur semencier, présente sa position sur les enjeux de propriété intellectuelle liées au végétal. Bien que fervente supportrice des droits de propriété industrielle, certaines de ces revendications, comme la demande de transparence sur les brevets contenus dans une variété végétale, peuvent étonnamment rejoindre celles des défenseurs de la biodiversité !
Rappelant que, en moyenne, les sélectionneurs investissent 20 % de leur chiffre d’affaire annuel dans la recherche et le développement, pourcentage considérablement plus élevé que dans d’autres secteurs industriels, Euroseeds défend un système de protection de la propriété intellectuelle qui leur permette un « juste » retour sur leurs investissements. Dans le même temps, l’organisation plaide pour un accès à toute forme de matériel végétal afin d’avoir accès à un maximum de diversité génétique lors de la sélection. Il n’existe pas selon l’organisation un unique système de propriété intellectuelle capable de couvrir l’ensemble des innovations et besoins du secteur, des techniques de sélection aux variétés finales, en passant par les traits génétiques. Elle ne remet donc pas en cause fondamentalement la situation actuelle, qui fait intervenir à la fois le certificat d’obtention végétal et le brevet. Bien plus, elle tient à rappeler qu’elle considère que la Convention UPOV dans sa version de 1991, dont « l’exception du sélectionneur » est la pierre angulaire, est le système de propriété intellectuelle sui generis le plus approprié pour la protection des variétés végétales en tant que telles.
A la lecture du document, on comprend que l’un des principaux enjeux pour les entreprises membres d’Euroseeds est justement l’absence de ce « privilège du sélectionneur » dans les brevets sur les biotechnologies ainsi que l’inégalité de moyens entre les différentes entreprises. En effet, à aucun moment l’organisation ne remet en cause la légitimité ou le bien-fondé de l’extension du système des brevets au végétal, mais déplore simplement une restriction de l’exemption accordée aux obtenteurs par le système du COV en raison de l’augmentation des brevets portant sur du matériel génétique. Euroseeds craint en effet que cette situation réduise la « liberté d’exploitation » (freedom to operate) des sélectionneurs, en particulier ceux de petite et moyenne taille, puisqu’ils devront affronter de nouveaux coûts (recherche de brevets, analyse de la liberté d’exploitation, négociations de licences…), des incertitudes juridiques en raison du manque de transparence sur les brevets déposés sur du matériel génétique, voir pourront se heurter à un refus pur et simple de se voir accorder une licence sur le matériel génétique protégé ou se voire imposer des conditions disproportionnées.
Euroseeeds précise qu’il n’y a pas de consensus dans « le secteur de la sélection variétale » sur le meilleur modèle de protection de la propriété industrielle, en particulier sur la question de savoir si, ou dans quelle mesure, la brevetabilité du matériel végétal résultant d’inventions biotechnologiques doit être maintenue, si la brevetabilité des plantes doit être supprimée ou si une exemption totale des obtenteurs doit également être introduite pour le matériel breveté. Néanmoins, l’organisation dégage des points d’accord sur des demandes en relation avec la protection de la propriété industrielle :
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renforcer et améliorer le système du COV, en particulier en ce qui concerne « l’exception de l’agriculteur » (qui permet aux agriculteur.rice.s d’utiliser une partie de leur récolte issue de variété protégé pour la replanter l’année suivante, moyennant une « rémunération équitable » de l’obtenteur). Euroseeds déplore qu’il soit souvent difficile pour les obtenteurs de récupérer cette fameuse rémunération.
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renforcer les droits du sélectionneur initial : en raison notamment des techniques de sélection moderne, il est de plus en plus fréquent qu’une nouvelle variété sélectionnée à partir d’une variété initiale existante soit toujours conforme à la variété initiale dans ses caractéristiques essentielles On parle alors de « variété essentiellement dérivée » (VED), un concept qu’Euroseeds souhaite renforcer et développer. Tout l’enjeu est de savoir dans quelle mesure il est possible de déposer ou non un CVO sur ces VED.
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étendre la mise en œuvre de l’exception limitée de l’obtenteur en droit des brevet : cette « exception limitée de l’obtenteur », prévue dans certains droits des brevets nationaux (France, Allemagne, Pays-Bas) et dans le brevet unitaire européen, permet l’accès à la composition génétique d’une variété végétale, y compris les caractères brevetés, à des fins de sélection. Euroseeds souhaiterai non seulement qu’une telle mesure soit prise pas l’ensemble des Etats membres de l’UE, et au niveau du brevet européen, mais également qu’elle soit étendue à l’utilisation des marqueurs moléculaires et séquentiels couverts par un brevet.
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confirmer et étendre la restriction à la brevetabilité : Euroseeds souhaite exclure de la brevetabilité l’ensemble des méthodes de sélection produisant des résultats non réplicables (comme la mutagénèse aléatoire basée sur des agents chimiques ou l’irradiation, ou la fusion de protoplaste), considérant que c’est une conséquence logique de l’exclusion de la brevetabilité des végétaux issus de méthodes conventionnelles de croisement et de sélection. Elle rejoint en cela l’argumentaire développé notamment par l’association No patents on seeds ! Toutefois, cela revient à considérer que de telles méthodes ne produisent pas des OGM, car les techniques OGM sont, par nature des procédés techniques, donc brevetables.
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limiter et clarifier la portée des brevets : il semble important à Euroseeds de réduire la portée d’un brevet de produit sur une matière biologique, afin qu’il ne s’étende pas à toute matière biologique qui a les mêmes propriétés mais qui s’est produite naturellement ou qui résulte de processus non dirigés et donc non reproductibles tels que la mutagenèse aléatoire et la fusion de protoplastes.
Euroseeds considère que l’inclusion des clauses de non-responsabilité respectives est une disposition essentielle pour limiter et clarifier la portée d’un brevet, facilitant ainsi l’accès des sélectionneurs au travail avec les ressources phytogénétiques.
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rehausser la barre, en appliquant strictement les critères de qualité/nouveauté dans l’évaluation des revendications des brevets sur le végétal.
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favoriser la transparence de l’information sur les caractères brevetés : Euroseeds estime qu’il est nécessaire d’assurer une totale transparence sur les brevets couvrant des variétés végétales, afin que semenciers et agriculteurs soient correctement informés de la présence d’un trait breveté dans une variété commercialisée. Afin de garantir l’exhaustivité de l’information, Euroseeds plaide pour une transparence obligatoire par le biais de base de données publiques. En particulier, l’organisation estime que de telles informations devraient être incluses dans le Catalogue officiel des variétés.
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faciliter l’accès à l’innovation par l’octroi obligatoire de licences à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (FRAND) : les brevets devant être des instruments pour encourager et protéger l’investissement dans la recherche, tout en favorisant la diffusion de l’innovation, Euroseeds plaide pour la mise en place d’un système de licences obligatoires, à des conditions équitables, raisonnables et non-discriminatoires, avec en outre, des conditions spéciales plus favorables pour les PME. Cela permettrait à tous les acteurs de pourvoir accéder aux traits brevetés, et de commercialiser des variétés les contenant.
On voit donc dans ce document à quel point Euroseeds touche du doigt les limites du système actuel de protection de la propriété industrielle dans le domaine du végétal, qui renforce la mainmise de quelques géants de l’agro-industrie (Bayer-Monsanto, Synchina, Pionner pour ne pas les nommer). Toutefois, les mesures que l’organisation prône ne visent qu’à assurer une protection dans cette guerre industrielle et commerciale toujours plus violente, où une poignée d’acteurs écrasent tout sur leur passage. Aucune remise en cause globale du système, ni de réflexion sur la pertinence, la légitimité ou encore l’éthique de droits de propriété sur de la matière vivante ne semble cependant envisageable pour les membres de cette organisation.
Lien vers la position (en anglais) sur le site d’Euroseeds ICI