Parlement européen, Commission agriculture et Commission environnement, Audition publique « Planter l’avenir – un nouveau cadre juridique pour les semences », 27 novembre 2023

Niveau juridique : Union européenne

Le 27 novembre 2023, la Commission agriculture, conjointement avec la Commission environnement du Parlement européen a organisé une audition publique dans le cadre des projets de réforme du cadre juridique relatif aux semences La première partie de cette conférence était consacré matériel de reproduction des végétaux (la seconde aux matériels de reproduction forestier).

Dans la partie consacrée au matériel de reproduction des végétaux sont intervenus : Garlich von Essen d’Euroseeds, Elsa M. Félix Gonçalves de l’Université de Lisbonne ainsi que Magdalena Prieler d’Arche de Noah. La Commission, avec le représentant de la DG Santé a également fait une déclaration avant une série de question-réponse avec les membres des deux commissions présentes.

L’idée de cette audition était de donner la parole à des experts impliqués dans la gestion quotidienne et la recherche en matière de semences végétales, pour donner une vue d’ensemble des différentes parties prenantes, en présentant leurs expériences sur le terrain.

Garlich von Essen a donné quelques éléments d’Euroseeds, qui représente plus de 30 associations nationales de l’UE et au-delà, dont 70 entreprises. Chaque année 4000 nouvelles variétés végétales sont commercialisées et 40 000 variétés sur le marché dans l’UE, ce qui implique un taux de renouvellement important. C’est un secteur avec beaucoup d’innovation, qui se réjouit de la proposition législative. Cette dernière reprends des éléments déjà discutés lors de la dernière tentative de réforme il y a douze ans : la numérisation, l’implication du secteur sous la houlette des autorités nationales pour co-gérer le système. Cette proposition leur semble plus logique, plus claire et mieux fixer le cadre, à la fois pour les gros producteurs et ceux qui ont besoin de dérogations. Euroseeds considère comme normal que le MRV relève du règlement contrôle. L’organisation est satisfaite de voir que le règlement santé des plantes s’appliquera pour tous les matériaux, quel qu’en soit le type ou les variétés. Les dérogations et adaptations pour certains segments de marchés, matériaux spécifiques ou usagers font sens, dans la mesure où elles sont prévues à partir des piliers communs. Pour le secteur commercial, les piliers que sont l’identité des variétés est ce qui doit être mis en avant avec le soutien de la VCUS. Ils ont cependant des questions sur la mise en œuvre des nouvelles caractéristiques de durabilité, en particulier pour les espèces jusque là non concernées car c’est un élément supplémentaire qui demandera du temps, en particulier pour les légumes. Il ne faut pas que cela constitue pas un obstacle, en particulier pour les PME. Enfin, Euroseeds se demande pourquoi exempter le matériel hétérogène des exigences concernant la durabilité.

La présentation d’Elsa M. Félix Gonçalves de l’Université de Lisbonne (disponible ICI) portait sur la nécessité d’utiliser du matériel polyclonal pour assurer l’utilisation durable des variétés anciennes de vigne pour les générations futures

Dans sa présentation (disponible ICI), après avoir brièvement présenté la situation actuelle, les évolutions du contexte depuis la dernière tentative de réforme (matériel hétérogène biologique, adoption de la déclaration de l’ONU sur les droits des paysans…) et pointé quelques points positifs de la proposition (exclusion du champ d’application de la législation des transferts entre utilisateurs finaux et des MRV utilisés à des fins de recherche, dérogations pour les semences commercialisées à des utilisateurs finaux, nouvelle définition des variétés de conservation…), Magdalena Prieler, d’Arche de Noah s’est attardée sur les points négatifs de cette proposition. En particulier :

  • un champ du règlement avec la définition trop large de la commercialisation : tout transfert, même gratuit entre opérateurs professionnels

  • une définition large des « opérateurs professionnels » qui devront respecter une série d’obligations en terme de contrôle de leurs processus et de traçabilité, et des obligations en terme de rapport et de tenue de registre, ce qui pourrait menacer de nombreux petits opérateurs.

  • pas d’exception pour les transferts réalisés à des buts de conservation, les banques de gènes pourraient ne plus être autorisés à donner du MRV à des agriculteurs.

  • pas de reconnaissance du droits aux semences reconnu par les traités internationaux : les agriculteurices ne pourront échanger des semences « qu’en nature », sans pouvoir recevoir d’argent en échange, et seulement à certaines conditions et en petites quantités.

  • des dispositions relatives aux anciennes variétés de fruits mal conçues, notamment le transfert des actuelles « variétés officiellement reconnues » et les règles de production simplifiées (matériel CAC)

  • des allégations erronées de durabilité :ces nouveaux tests, pourrait aboutir à ce que énormément de variétés, y compris des variétés résistantes aux herbicides pourraient être considérées comme durable…

Elle a aussi présenté la pétition « Raise your forks for diversity », lancée pour demander au Parlement européen de remanier la proposition pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité des cultures adaptées aux conditions locales et garantir le droits des agriculteurices et jardinier-ère-s à récolter, utiliser, échanger et vendre leurs semences.

Le représentant de la DG santé a ensuite pris la parole pour présenter la position de la Commission, dont l’objectif premier est de clarifier et simplifier la législation actuelle qui remonte aux années 60. Pour ce qui est de l’inscription et la certification, la proposition ajuste la législation aux progrès scientifiques et techniques et vise à renforcer la durabilité et la diversité, en conformité avec le Pacte vert et pour la stratégie pour la biodiversité. En ce qui concerne l’évaluation de la valeur d’utilisation durable (VCUS), il s’agit d’un examen global, afin que les nouvelles variétés soient moins dépendantes des herbicides et des engrais, mieux adaptées aux conditions climatiques et aient une composition nutritionnelle améliorée. Des prescriptions spécifiques pour les variétés bio sont introduites afin de soutenir l’objectif de 25 % de terres agricoles bio. Un certain nombre de dérogations sont introduites pour supporter la conservation et utilisation durable de la diversité génétique des espèces cultivées : les variétés de conservation, y compris nouvelles, enregistrées sans DHS ni VCUS avec une certification et limitation géographique aménagées, l’extension au-delà du secteur bio du matériel hétérogène, l’exemption des exigences en terme d’enregistrement et de certification des variétés pour les opérations des réseaux de conservation au niveau européen ne relèvent pas des exigences, l’échange en nature de semences entre agriculteurices possible sous certaines limites quantitatives et conditions, la possibilité de vendre des variétés plus diversifiées à des jardinier-ère-s amateur.e.s. La proposition clarifie que vendre ou transférer du MRV entre utilisateurs finaux pour des usages privés et hors d’activité commerciale est en dehors de la législation.

Le représentant a également tenu à répondre à des points soulevés par les présentations. Sur le fait que la VCU pour les potagères et fruits soit difficile pour les petits opérateurs : pendant la période de transition, il a assuré qu’un travail entre les autorités officielle et les sélectionneurs, avec une attention mise sur l’implication en terme de coûts, avec une mise en balance entre les coûts d’une potentielle non adaptation des variétés aux nouvelles conditions climatiques serait mené pendant la période de transision. Sur le fait que les dérogations pourraient conduire à des semences de qualité moindre pour les petits agriculteurices et les amateurs, il a répondu que ces dérogations établissaient des exigences de qualité proportionnées. Il a été répété que la réglementation santé des plantes et sur les obtentions végétales n’étaient pas affectées par cette réforme et restaient applicables. La Commission maintient qu’il est plus approprié de garder l’ensemble des activités couvertes par les dérogations dans un cadre commun, à la fois pour des raisons de transparence et pour être capable d’évaluer ces nouvelles règles dans le futur. Le matériel conservé par les réseaux de conservation de semences pourra être vendu aux agriculteurices en utilisant la dérogation sur les variétés de conservation ou celle sur le matériel hétérogène.

Le rapporteur du texte à la Commission agriculture, M. Dorfmann, s’est ensuite exprimé. Ce dernier partage les doutes sur l’élargissement à toutes les variétés des critères de durabilité, et le problème de la définition de ce qu’est la durabilité. Pour lui, il est nécessaire de maintenir les dérogations dans le cadre du règlement. Celle-ci sont suffisantes pour mettre en place des marchés pour ces conditions particulières. Le rapporteur serait également en faveur de la possibilité de ne pas limiter les échanges entre agriculteurices à des échanges en nature mais d’autoriser également la vente.

Pour le rapporteur fictif de la Commission agriculture M. Ruissen, il faut que le MRV soit de bonne qualité et disponible. Il a exprimé ses craintes à ce que l’introduction de critères VCUS pour les variétés potagères et fruitières ne rendent difficile la création de nouvelles variétés. Il a également insisté sur la nécessité de s’adapter aux circonstances locales.

Mme Massa a ensuite pris la parole pour la commission environnement. Selon elle, cette proposition pourrait mettre en péril notre transition alimentaire, qui ne peut être acquise que par l’autonomie et la sécurité alimentaire, ce qui suppose une grande diversité des cultures. Si l’échange de semences entre agriculteurices ou entre organisations de semences est rendu plus difficile, le risque de perte de variétés locales n’est pas à négliger. Les semenciers locaux et régionaux sont des acteurs majeurs de la diversité et de l’autonomie alimentaires, les petites structures qui proposent des semences adaptées aux conditions de cultures particulières, aux particularités alimentaires locales et nationales seront pénalisées par de nouvelles exigences liées à l’élargissement du marché. Il est illusoire de penser que l’innovation seule peut remplacer le savoir paysan acquis au cours des années. Les agriculteurices doivent donc avoir le droit d’utiliser leurs semences.Une législation est certes nécessaire, mais la proposition doit être grandement améliorée. Le texte doit garantir la pérennité des semenciers locaux, le droit des agriculteurices d’utiliser leurs semences, la diversité des semences pour alimentation sûre, saine et variée.

D’autres membres du Parlement ont ensuite pris la parole pour présenter leur point de vue sur le texte et poser leurs questions aux intervenant.e.s.

Ordre du jour à retrouver ICI et les échanges peuvent être écoutés ICI