Niveau juridique : France
Prévu en décembre 2017 par le plan filière semences, ce Comité aux enjeux sociétaux (CES) de SEMAE a vu le jour en mars 2020. En raison de la pandémie de Covid-19, il n’a véritablement commencé ces travaux qu’en 2022. Sa mission est d’aider SEMAE à « réaliser les transformations nécessaires pour faire face aux nouveaux enjeux et nouvelles problématiques. Les travaux du CES visent donc à éclairer et interpeller les administrateurs sur certaines thématiques, à changer le regard du SEMAE sur la société et, en corollaire, faire évoluer le regard de la société sur le SEMAE. » (Extrait du règlement intérieur du CES). Présidé par le chercheur Pierre-Benoît Joly, il est composé de 11 membres d’horizon différents (chercheurs universitaires, représentants de la société civile, agriculteur…). A noter que les membres du CES y siège en leur nom propre.
En 2022, le CES a choisi de travailler sur le sujet « Semences et transition agroécologique », ce qui a donné lieu à cet avis, qui s’appuie notamment sur des entretiens de personnes investies dans la filière semence réalisés par des étudiants de l’Institut Agro Rennes.
Contenu :
Comme exprimé dans l’introduction, « A partir d’une identification des quatre grands enjeux de la transition agroécologique, cet avis suggère que l’augmentation de la biodiversité cultivée constitue le fil rouge des transformations de l’activité semencière [et] explore les changements nécessaires afin que les acteurs de toutes les semences puissent relever les défis actuels. ».
En effet, selon les membres du CES, la transition agroécologique doit répondre à quatre grands enjeux :
-
Préserver la biodiversité
-
Améliorer la conservation et la régénération des sols
-
Economiser les ressources
-
Faire de la résilience de l’agriculture et de l’alimentation l’objectif premier de la recherche et des politiques publiques.
Ceci posé, il apparaît aux membres du CES que cela ne peut que passer par une augmentation de la biodiversité, qui doit constituer « le fil rouge des transformations de l’activité semencière ». Cette augmentation de la biodiversité doit se traduire par une diversité intraspécifique et interspécifique ainsi que la valorisation des interactions entre plantes et microbiotes.
Or, cette approche constitue un véritable changement de paradigme, nécessitant des changements institutionnels, réglementaires, scientifiques, techniques, organisationnels, économiques mais aussi culturels.
En effet, le CES reconnaît que « le système des semences est organisé autour d’un « régime » » sociotechnique associé à un ensemble de valeurs. Ce dernier « a une dimension normative et définit les actions légitimes ». Les membres du CES estiment que le régime actuel a été forgé « pour répondre au projet de modernisation de l’agriculture, encourageant « le recours massif aux produits phytosanitaires et aux engrais a orienté la sélection vers des objectifs très centrés sur le rendement et les demandes de qualité des industriels et des consommateurs. Il en est résulté des variétés adaptées à des milieux artificialisés par les intrants, et grâce à cela diffusées sur de larges secteurs géographiques. » Ceci est difficilement compatible avec l’agroécologie, qui « implique de proposer des variétés adaptées à une réduction des intrants, donc à des milieux moins artificialisés permettant d’exploiter pleinement le potentiel des interactions génotype x environnement. »
De plus, comme le soulignent les auteur.rice.s « La très grande cohérence du régime sociotechnique des semences rend difficile toute transformation, comme la diversification des systèmes de culture et la transition agroécologique au sens large, en raison de verrous techniques, organisationnels et institutionnels. Ces verrous ne peuvent être levés qu’en traitant de manière simultanée et coordonnée les différentes composantes. » (exemple est pris des associations d’espèces, limité par le fait que les variétés ne sont pas sélectionnées pour leur installation avec d’autres espèces, la nécessité de séparer les espèces dans les lots récoltés en raison de l’absence de débouchés de mélanges…).
Le CES considère donc qu’il est « nécessaire de redéfinir le système des semences actuel pour l’adapter aux enjeux du 21 ème siècle. ». Pour ce faire, il faut « construire un nouveau récit, qui énonce une nouvelle conception de la semence et de son rôle dans le monde qui vient. ». Le CES préconise de « réviser le concept de « variété DHS », (Distincte, Homogène, Stable), et l’ensemble des règles qui permettent de qualifier celle-ci, notamment dans les dispositifs d’autorisation de mise sur le marché. » et de « [remettre] en cause le principe d’une prédétermination des critères de performance d’une variété ». Cela pourrait passer par la création de listes spécifiques du Catalogue officiel ou la multiplication des critères de sélection.
Dans l’état actuel du système, prendre en compte tous les critères d’adaptation au local demande un « coût » de sélection énorme. Il faut donc « reconcevoir la fonction du catalogue des semences [sic] », et « repenser la notion de filtre a priori, dans la mesure où celui-ci est nécessairement lié à un modèle agricole ». Les auteur.rice.s précisent que cela n’implique pas la fin du catalogue, ni celle de l’évaluation des performances, mais que ces dernières « devront être évaluées en tenant compte des systèmes dans lesquels elles seront installées ». Ainsi « Au stade de l’inscription au catalogue l’évaluation devrait également se déployer en situation réelle d’usage. Elle devra être enrichie tout au long de la vie de la variété et de manière continue, en valorisant les retours d’expériences en situation réelle. » .
Concernant l’innovation variétale, le CES estime que la transition agroécologique impose trois priorités :
-
concevoir des schémas de sélection nouveaux : en prenant par exemple en compte les complémentarités interspécifiques en amont des schémas de sélection.
-
intégrer de nouveaux objectifs et de nouvelles dimensions, notamment la sélection pour des architectures racinaires plus performantes, les interactions entre les plantes et les microbiomes des sols.
-
développer des démarches couplées sélection/agronomie
Pour cela, deux infrastructures sont essentielles :
-
des ressources génétiques en gestion renforcées, car « l’accès à une diversité de Ressources Génétiques, conservées et entretenues sur le long terme est essentiel ». Or, force est de constater qu’actuellement, cette gestion demeure un point critique, car souvent confiée à des dispositifs institutionnels sans financement dédié et qu’elle est limitée à une gamme étroite d’espèces. Les auteur.rice.s insistent en outre sur la « dimension de coopération internationale […] primordiale », notamment en raison de l’évolution du climat.
-
des dispositifs expérimentaux/partenariaux distribués sur le territoire
La question des nouveaux OGM est abordée via un petit disclaimer, indiquant que le CES « n’a pas considéré spécifiquement la question actuellement très débattue des Nouvelles Technologies Génomiques -essentiellement les différentes techniques d’édition des génomes-. A ce stade, il considère que c’est un outil de recherche de laboratoire très utile, complémentaire des approches en génomique et en mathématique qui permettent de connaître l’ensemble des allèles variétaux et d’accélérer les programmes de sélection. Du point de vue des innovations variétales, il est essentiel que les cibles des NTG soient conçues en interaction forte avec les agronomes et les parties prenantes,(…) ».
Le CES s’intéresse également aux politiques publiques pour soutenir la contribution de la semence à la transition agroécologique. Le CES prône « une alliance renouvelée », partant du constat qu’avec l’agroécologie « l’optimisation de la variété ne se fait plus indépendamment du système de production. ». Il semble donc nécessaire « dans certains cas » que « les agricultrices et les agriculteurs [soient] conduits à jouer un rôle actif pour l’adaptation des variétés à leurs conditions locales ». S’il appartient aux sélectionneurs d’« enrichir leurs ressources génétiques et [de] défendre leur liberté d’opérer, [d’] élaborer des idéotypes (ou des idéo-populations), [d’] entretenir des dispositifs expérimentaux puissants, affiner et amplifier des méthodes de phénotypage (…) [et d’] inventer de nouveaux types variétaux », la recherche publique doit, elle « produire des connaissances et des méthodes, en particulier sur les interactions biologiques, les biostatistiques appliquées aux dispositifs distribués, les caractérisations génomiques, les déterminismes fonctionnels et les technologies d’édition du génome. ». Il s’agit également de « renforcer les collaborations interdisciplinaires, notamment entre sélectionneurs et agronomes, le couplage de différentes approches, ainsi que les interactions avec les utilisateurs ».
Pour les membres du CES, il « apparaît nécessaire de repenser l’organisation du financement et du soutien à la recherche sur l’amélioration génétique et la sélection des semences. ». S’il faut «continuer à favoriser la mutualisation public-privé et d’élargir cette mutualisation en intégrant la société civile, les agricultrices et agriculteurs. », notamment pour mieux intégrer les enjeux sociaux-environnementaux, il est nécessaire de « définir les objectifs de manière mutualisée », et encourager la sélection participative. Il leur semble également important que « puissance publique soutienne fortement la diversification des espèces cultivées (…) à condition de bien mutualiser les objectifs entre les différents interlocuteurs (les acteurs des filières semences, les agricultrices et agriculteurs, la société civile) et de bien adapter les systèmes agroécologiques à l’amélioration de la production des semences. » Au niveau du financement, il faut « réfléchir à de nouveaux modèles économiques comme la finance verte ». Enfin, il s’agit de « stimuler l’intérêt des générations » pour le monde de la recherche, devenant en tension.
Le CES se penche enfin rapidement sur la question de la propriété intellectuelle. L’approche est ici très consensuelle, avec une défense du COV, et une condamnation des brevets « qui peuvent conduire à une privatisation des technologies de base et des ressources génétiques, ce qui serait contraire aux objectifs de l’agroécologie qui nécessitent un usage intensif et distribué des connaissances et des ressources génétiques. »
Analyse :
Cet avis est intéressant car, pour la première fois à notre connaissance dans un tel espace institutionnel « tenu » par les semenciers, il reconnaît et remet en cause l’existence d’un véritable « système » semencier, qui a pour principal but la productivité. Il insiste sur l’aspect multidimensionel de ce dernier, et la nécessité de le repenser globalement. Si le constat ne peut être que partagé, et les pistes évoquées encourageantes, il convient toutefois de s’interroger sur la portée d’un tel avis : serait-il suivi de véritable effets ? Servira- il de base à un quelconque plaidoyer de la part l’interprofession ? l’avenir (et notamment les positions prises dans le cadre de la réforme de la réglementation européenne commercialisation semences) nous le dirons…
Avis à télécharger sur la page du CES ICI
Voir aussi le communiqué de presse de présentation de l’avis sur le site de SEMAE ICI