Commission européenne, Etude d’impact initiale sur la réforme de la législation sur les plantes produites par certaines techniques génomiques, 24 septembre 2021

Niveau juridique : Union européenne

Le processus de réforme de la législation pour les plantes produites par les nouvelles techniques de sélection (nouveaux OGM, appelées dans l’étude « nouvelles techniques génomiques » ou NGT) est lancé ! Le 24 septembre 2021, la Commission a publié l’étude d’impact initial, préalable à l’enclenchement du processus de réforme législative. Le contenu de cette étude est ouvert à consultation du public pour un mois, soit jusqu’au 22 octobre 2021.

A noter que le champs de la révision est limitée aux « plantes produites par certaines nouvelles techniques génomiques », et plus particulièrement la mutagénèse dirigée et la cisgénèse. La proposition législative concernera la nourriture et le fourrage issus de telles plantes, mais animaux, micro-organismes et autres nouvelles techniques génomiques ne sont pas concernés.

Dès le début du document, le ton est donné : la législation actuelle, qui soumet les plantes issues de ces « nouvelles techniques génomiques » à la réglementation sur les OGM n’est plus adaptée et il convient de l’adapter « aux progrès scientifiques et technologiques ».

Il est certes fait mention des « incidences potentielles sur la sécurité et l’environnement, notamment la biodiversité, la coexistence avec l’agriculture biologique et sans-OGM » et des « préoccupations relatives à l’étiquetage et au droit des consommateurs à l’information et à leur liberté de choix », mais cela ne semble pas peser lourd dans la balance au regard de toutes les vertus dont sont parées ces nouvelles techniques génomiques.

Parmi les arguments avancés en faveur d’une réforme de la réglementation actuelle, rien que du très classique :

  • les incertitudes légales de la directive 2001/18 (qui réglemente les OGM), et en particulier sur la définitions des termes tels que « mutagénèse », « utilisation traditionnelle pour diverses applications », « sécurité avérée depuis longtemps » ;

  • le fait que ces techniques peuvent être utilisées pour produire des altérations du matériel génétique qui pourraient aussi arriver par mutations naturelles ou des techniques de sélection conventionnelles, et que les plantes issues de ces techniques, présenteraient, selon l’étude de l’EFSA (Agence européenne de sécurité alimentaire), moins de risques que celles obtenues grâce aux techniques « conventionnelles » de mutation génétique (transgenèse).

  • la difficulté voir l’impossibilité de distinguer les plantes issues de ces techniques des plantes issues de sélection conventionnelle, ce qui rend difficile la mise en œuvre des obligations d’autorisation, traçabilité et étiquetage prescrite par l’actuelle réglementation ;

  • le fait que le cadre réglementaire actuel ne prendrait pas en compte le potentiel des produits issus de ces nouvelles techniques face aux défis sociétaux, comme la durabilité (puisque ces NGT peuvent permettre de produire des plantes résistantes à la sécheresse, etc.) et autres objectifs du « Pacte vert européen », de la stratégie « De la ferme à la fourchette » et de celle sur la biodiversité.

Si parmi les objectifs de la réforme (« l’initiative ») est mis en avant le maintien d’un « haut niveau de protection de la santé humaine et animale » la volonté de renforcer la compétitivité du secteur agro-alimentaire de l’UE (voir au-delà) et d’assurer des conditions de concurrence « équitable » pour ses opérateurs est clairement affichée. L’argument est usé : les sélectionneurs européens, soumis aux contraintes d’autorisation préalable, traçabilité, étiquetage… seraient en position de faiblesse par rapport à leurs concurrents américains ou asiatiques où ces nouvelles techniques ne sont pas réglementées. La législation devrait donc être capable de « suivre l’évolution de la science » et être « proportionnelle au risque encouru ».

Les auteurs de l’étude se prononcent donc clairement contre le maintien du statu-quo. Des pistes sont données pour l’évolution de la réglementation :

  • Inclure des exigences en matière d’évaluation des risques et d’approbation proportionnées aux risques encourus, au cas par cas, en tenant compte d’éléments tels que la technique spécifique utilisée, le type de modification ou la nouveauté du trait… Le respect des exigences de sécurité resterait une condition préalable à la dissémination volontaire ou à la mise sur le marché.

  • Exiger une « analyse de durabilité » pour examiner si, et de quelle manière, ces produits contribuent à la durabilité, en tenant compte des critères élaborés dans le cadre de l’action politique relative à un cadre pour des systèmes alimentaires durables.

  • Etablir des dispositions appropriées en matière de traçabilité et d’étiquetage, applicables et exécutoires, qui tiennent compte de la capacité des plantes obtenues par mutagenèse ciblée et cisgenèse à contribuer à un système alimentaire durable et à garantir le droit des consommateurs à faire des choix éclairés.

L’étude détaille aussi les impacts possibles sur différents secteurs.

En matière économique, l’affaire est entendue : la réforme devrait encourager et faciliter le développement et la mise sur le marché de plantes « sûres » obtenues par mutagenèse et cisgenèse ciblées et éviter les conséquences négatives potentielles décrites ci-dessus. Les points suivants seront à considérer :

  • l’impact (supposé positif) sur la production agricole, l’utilisation d’intrants, le développement de variétés plus résistantes, la réduction des coûts de sélection variétale,

  • l’impact sur l’innovation et la recherche en UE qui pourraient être stimulée par ce nouveau cadre, l’augmentation de l’engagement des PME grâce à la réduction des coûts d’accès au marché,

  • les incidences négatives « potentielles » pour l’agriculture biologique et sans OGM et pour le secteur de la vente au détail de produits haut de gamme.

Les questions liées à la contribution de la propriété intellectuelle à l’innovation seront aussi étudiées (NDLR sachant que la question de nouveaux OGM et celle des brevets sur le vivant sont intimement liés, les brevets sur les procédés s’étendant aux plantes issues de ces procédés).

Au niveau social, l’étude d’impact se penchera sur les effets de l’introduction d’une analyse de durabilité, afin de garantir que les produits mis sur le marché apportent une valeur ajoutée claire à la société, les avantages pour les consommateurs pouvant résulter de la réduction de teneurs en toxines ou allergènes ou de l’amélioration du profil nutritionnel des plantes ou encore les incidences sur la durabilité et la biodiversité au niveau local (y compris les zones rurales, les chaînes d’approvisionnement et les cultures mineures, de niche ou orphelines qui répondent aux besoins locaux).

En terme d’impact sur l’environnement, il est rappelé que l’initiative envisagée vise à maintenir un niveau élevé de protection de l’environnement et à faciliter le développement et l’adoption de plantes innovantes susceptibles de présenter des avantages directs et indirects pour l’environnement (car les NGT permettent de fournir des plantes plus résistantes aux maladies et aux conditions environnementales ou aux effets du changement climatique en général, avec des caractéristiques agronomiques ou nutritionnelles améliorées, et nécessitant une utilisation réduite des ressources naturelles (par exemple, l’eau)). Les préoccupations concernant les effets négatifs potentiels des plantes obtenues par NGT sur l’environnement et la biodiversité, par exemple, en raison du déplacement potentiel des variétés traditionnelles et de la perte de diversité agricole, ainsi que des préoccupations relatives à l’utilisation accrue de pesticides devront aussi être étudiées.

Enfin, last but not least, selon les auteurs, l’initiative a le potentiel de contribuer à un certain nombre d’objectifs contenus dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, y compris le principe du développement durable. L’adaptation des exigences juridiques relatives aux plantes obtenues par mutagenèse ciblée et cisgenèse en fonction de leur niveau de risque, en offrant de nouvelles possibilités aux opérateurs du système agroalimentaire et de biotechnologie, ainsi que pour les chercheurs et les PME, renforcera leur liberté de mener leurs activités. L’analyse d’impact identifiera et évaluera tous les facteurs limitatifs, dans le but de les réduire au minimum. Elle abordera également les problèmes éthiques potentiels liés aux incidences environnementales, économiques et sociales.

Et ensuite ?

Une consultation publique de 12 semaines sera organisée (1er semestre 2022) via le portail « Have your say ».

La Commission tiendra compte des positions déjà recueillies dans le cadre de la consultation des Etats-membre et des parties prenantes concernées par les NGT.

Lien vers la page « Have your say » de la Commission ICI pour retrouver le texte de l’étude d’impact initial. C’est aussi sur cette page qu’il est possible de déposer une contribution jusqu’au 22 octobre 2021.

[EDIT du 4 novembre 2021]

La consultation a suscité un engouement hors du commun avec près de 70 900 contributions déposées (70 879 considérées comme valides sur les 70 894 déposées). Si l’analyse de ces contributions est encore en cours au sein de la Commission, des statistiques sont déjà disponibles : plus de 96 % des contributions proviennent de citoyens de l’UE, les autres provenant d’instituts de recherche, d’entreprises ou d’organisations professionnelles, d’ONG ou encore de syndicats. A noter que certaines réponses ont été émises par des ressortissants de pays tiers à l’UE. Ainsi,des contributions sont venues du Royaume-Uni (663), des Etats-Unis (196), d’Argentine (141), du Canada (114), partenaires commerciaux histriques de l’UE mais aussi de tous les autres coin du monde : , Amérique du Sud et centrale (Chili, Mexique,Colombie,Brésil, Equateur, Paraguay, Costa Rica…), Asie (Japon, Chine, Malaisie, Singapour… mais aussi Biélorussie, Kirghiztan, Népal), Afrique (Maroc, Egypte, Kenya, Bruneï…). C’est dire si le sujet préoccupe !

La majorité des contributions émanent toutefois d’Allemagne (46%) et de France (36%). En effet, dans ces deux pays, des ONG et autres organisations de défense de l’agriculture paysanne et de la biodiversité se sont mobilisées pour proposer aux citoyens une plateforme facile pour exprimer leur position lors de la consultation. Plusieurs organisations de la société civile estiment que plus de 69 000 contributions (soit plus de 96%) expriment une opposition au projet de la Commission européenne visant à déréglementer certains des nouveaux OGM.

Aors que la Commission et la plupart des Gouvernements des pays membres sont favorables à une réforme, ces chiffres montrent bien l’opposition citoyenne face à une potentielle dérèglementation des nouveaux OGM.

Et ensuite ?

La Commission européenne doit donc s’atteler à la lecture et l’analyse de ces contributions, pour produire une étude d’impact plus complète, qui sera elle aussi soumise à consultation du public. La Commission étant déterminée à aller vite, elle a annoncé cette dernière pour le second semestre 2022, avec pour objectif de clôre la procédure au printemps 2023.

Voir aussi l’article d’Inf’OGM « Nouveaux OGM : la Commission européenne en mal de soutien«  Eric Meunier, 2 novembre 2021