Niveau juridique : Union européenne
Après avoir arrêté la version finale du projet d’acte délégué relatif au « matériel hétérogène biologique », le 30 octobre 2020, la Commission européenne a lancé, le même jour, une consultation publique sur son site internet. Celle-ci se déroulait jusqu’au 27 novembre 2020 et permettait à toute personne intéressée d’envoyer une contribution et d’exprimer un avis sur le texte. Pas moins de cinquante contributions ont ainsi été envoyées à la Commission et sont accessibles sur le site de l’institution européenne (voir ICI). Voici un rapide aperçu de la palette d’arguments et commentaires transmis à la Commission européenne. Reste maintenant à savoir si la Commission les prendra en compte et remaniera ou non le texte de l’acte délégué, lequel est censé s’appliquer à compter du 1er janvier 2022.
Les débats autour du matériel hétérogène biologique : concurrence déloyale, opportunité pour la biodiversité ou marchandisation du vivant ?
L’Union française des semenciers (qui regroupe les entreprises de l’industrie semencière française), son homologue européen Euroseeds et la COPA-COGECA (le plus important syndicat d’agriculteurs et de coopératives au niveau européen, avec actuellement Christine Lambert à sa tête, la Présidente de la FNSEA) voient dans la création de la nouvelle catégorie « matériel hétérogène biologique » la porte ouverte à une « concurrence déloyale » légalisée au sein de l’Union européenne, à un « marché semencier à deux vitesses ». Selon les eux, « les sélectionneurs qui produisent des matériels hétérogènes biologique supporteront une charge réglementaire moindre par rapport aux autres types de sélectionneurs. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les sélectionneurs qui développent du matériel végétal de reproduction plus proche du matériel hétérogène biologique (c’est-à-dire des variétés et des populations à pollinisation croisée), qui, elles, doivent être inscrites au Catalogue officiel ».
Le Réseau Rhin-Meuse-Moselle, Kokopelli, Graines de troc, l’entreprise Les Maîtres de mon moulin, Longo maï, le Conservatoire national de la tomate, le conservatoire Mille variétés anciennes, l’association autrichienne Arche Noah ou encore la coopérative semencière belge Cycle en Terre se sont, eux, accordés sur une position commune et ont envoyé des contributions identiques. Ils voient dans le MHB une grande avancée pour la biodiversité cultivée et l’occasion de mettre sur le marché des populations et variétés « patrimoniales ». Ils saluent l’assouplissement de l’acte délégué en ce qui concerne les règles relatives au taux de germination, à l’emballage, à la traçabilité, et à la maintenance. Ces allègements permettent, selon eux, de réduire les contraintes imposées aux opérateurs, ce qui les aidera « à trouver une place sur le marché des semences ». Un accès au marché qu’ils souhaitent le plus flexible possible, militant pour que l’opérateur aie la possibilité de choisir librement s’il souhaite se placer sous le régime du nouveau règlement sur l’agriculture biologique (et plus précisément, du MHB), ou sous celui des « variétés de conservation » et des « variétés sans valeur intrinsèque ».
Si la Coordination européenne Via Campesina déplore aussi que les obligations à la charge des obtenteurs sont encore trop lourdes telles qu’elles sont inscrites dans cette nouvelle version de l’acte délégué, elle alerte également sur les enjeux liés au MHB : « ce règlement - même s’il ne modifie pas le système formel des semences - étendrait la logique du marché à des semences qui en étaient jusqu’à présent exclues. Tout cela dans le but de plier le système semencier actuellement informel à la marchandisation autoritaire et libérale des semences, afin de répondre aux besoins des acteurs du secteur biologique. Les membres d’ECVC ne veulent pas empêcher l’accès au marché officiel des semences pour ceux qui le souhaitent, mais ils ne veulent pas le soutenir non plus, ni en approuvant ses principes, ni en partageant ses règles actuelles ».
Discussions autour des méthodes d’obtention du matériel hétérogène biologique :
Autre point de cristallisation des débats : les méthodes d’obtention du MHB. La version précédente de l’acte délégué (du 5 mars 2020) imposait que, dans le cas où le MHB serait obtenu par croisements, ceux-ci devraient être menés « pendant au moins trois ans pour les cultures annuelles et cinq ans pour les cultures bisannuelles/pérennes ». Dans le cas d’une obtention par des « pratiques de sélection ou de maintien de matériel à la ferme », celles-ci devaient être menées « depuis au moins six générations et jusqu’à plusieurs décennies ». Des obligations chronologiques éliminées dans ce nouveau projet d’acte.
Si Kokopelli, Arche Noah ou encore Graines de troc saluent cet assouplissement (ces conditions étaient perçues comme « arbitraires »), l’IFOAM (la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique) affirme que cela « menace l’intégrité du matériel hétérogène biologique ». Il est vrai que, dans la formulation actuelle du projet d’acte délégué, il semble permis que seul le cycle de reproduction final du MHB se fasse dans des conditions biologiques. L’IFOAM demande ainsi à ce que le MHB soit « développé pendant au moins 6 générations (ou 3 ans pour les cultures annuelles et 5 ans pour les cultures bisannuelles/pérennes) de pratiques de gestion à la ferme dans des conditions biologiques certifiées avant sa commercialisation. Cela permettrait de garantir l’intégrité et la traçabilité du processus de développement ». Il s’agit selon elle d’une exigence de qualité minimale qui seule pourrait permettre d’assurer que le MHB est adapté aux conditions de l’agriculture biologique.
L’Union française des semenciers milite elle aussi pour réintroduire ces obligations dans le corps de l’acte délégué, mais pour des raisons bien différentes et liés aux intérêts des obtenteurs : il s’agit surtout pour eux de s’assurer que le MHB est issu d’un « véritable travail de sélection » et d’éviter tout risque de fraude qui « consisterait à commercialiser sous la dénomination de matériel hétérogène biologique le simple produit de croisement de plusieurs variétés protégées ou la descendance d’un hybride ».
Enfin, l’association du mouvement de la biodynamie, Demeter, déplore, elle, un recul par rapport à l’ancienne version du texte. Celle-ci prévoyait qu’en dernier lieu, le MHB pouvait être obtenu « par toute autre technique qui respecte les principes biologiques, et notamment la capacité naturelle de reproduction et les barrières naturelles de franchissement ». La suppression du terme « principes biologiques » dans la nouvelle mouture constitue un réel risque que l’industrie semencière utilise le régime des MHB afin de commercialiser sur le marché européen des variétés encore instables obtenues à partir de nouvelles techniques de sélection génétique. Demeter propose donc que soit inséré le texte suivant à l’article 4 paragraphe 2 de l’acte délégué : « le MHB peut être obtenu par toute autre technique conforme aux principes biologiques et qui respecte spécifiquement la capacité naturelle de reproduction, les barrières naturelles de franchissement, le génome et la cellule en tant qu’entités imparables. Les interventions techniques sur le génome des plantes ou une cellule isolée sur un milieu artificiel ne sont pas autorisées (par exemple, les rayonnements ionisants, les mutagènes chimiques, le transfert d’ADN, d’ARN ou de protéines isolés, les techniques de génie génétique, la destruction des parois cellulaires et la désintégration des noyaux cellulaires par fusion de cytoplastes), produisant un matériel hétérogène aussi divers que celui visé aux points (a) et (b) ».
La dérogation en faveur des petits emballages de semences de MHB : pour ou contre ?
Sans surprise, l’UFS, le GNIS, Euroseeds et la COPA-COGECA estiment que l’introduction dans la version finale du projet d’acte délégué d’un régime d’exception en faveur des petits emballages de semences de PHB est « contraires aux principes prévus par les directives de commercialisation des semences pour protéger les utilisateurs » et de nature « à accroître les risques de fraude quant à la nature des semences commercialisées ».