Mutagenèse : Avis circonstancié de la Commission européenne relatif aux projets de décrets et arrêté français portant sur la modification de la liste des techniques d’obtention d’OGM ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement, et modifiant le Catalogue officiel des espèces et variétés français, 22 septembre 2020

Niveau juridique : Union européenne

Le 6 mai 2020, le Gouvernement français a notifié à la Commission européenne trois projets de textes règlementaires (un décret et deux arrêtés) destinés à fixer la liste des techniques de mutagenèse exemptées de la réglementation sur les OGM et à lister les variétés devant être radiées du Catalogue officiel français car obtenues à partir de techniques de mutagenèse développées après l’entrée en vigueur de la directive 2001/18 sur les OGM. Ces textes prévoient ainsi que les variétés obtenues par les techniques de mutagenèse aléatoire appliquées sur des cellules végétales in vitro doivent être soumises à la réglementation OGM.

 

Procédure de consultation des États membres et des parties prenantes :

Avant d’émettre son avis sur ces trois projets, la Commission a choisi de les soumettre à consultation jusqu’au 7 août 2020, en récoltant les contributions de huit États membres et de vingt-neuf parties prenantes européennes pré-sélectionnées : des représentants de l’industrie semencière, majoritairement. Sans surprise, la lecture de ces contributions révèle un positionnement des acteurs clairement favorable aux « nouvelles techniques de sélection végétales » (NBT) et, par conséquent, opposé à l’adoption des projets réglementaires soumis par la France. Différents arguments sont mobilisés.

Tout d’abord, la distinction opérée entre techniques de mutagenèse in vitro et in vivo serait « arbitraire », et scientifiquement non fondée. Il serait ainsi impossible de déterminer a posteriori si la modification génomique dans la plante est due à une manipulation in vivo ou in vitro, ni même d’assurer qu’elle n’est pas le résultat d’un processus de mutation naturel et non dirigé. Il en résulterait une situation d’insécurité juridique pour les opérateurs (semenciers, producteurs, transformateurs etc.) sur le marché européen : ceux-ci seraient dans l’incapacité d’anticiper le régime juridique applicables aux variétés végétales qu’ils produisent, manipulent ou cultivent. Les contributeurs affirment également que la technique de mutagenèse in vitro est développée depuis les années 80, qu’elle est « traditionnellement utilisée depuis pour diverses applications », et que « sa sécurité est avérée depuis longtemps ». Les textes français seraient donc incompatibles avec l’annexe II de la directive européenne sur les OGM n°2001/18/CE, car ils auraient pour effet de soumettre certaines variétés à la réglementation OGM alors même qu’elles devraient en être exemptées, du fait de leur obtention par des techniques génomiques « traditionnelles » et « sûres ».

Dans leurs argumentaires, les parties prenantes mobilisent aussi des concepts juridico-économiques exprimés en termes très généraux : entrave à la libre circulation des marchandises dans l’espace européen ; remise en cause de l’harmonisation de la réglementation relative aux OGM sur le territoire de l’UE ; risque pour l’autonomie alimentaire du continent ; ou encore frein à l’innovation et la recherche en matière de sélection végétale. Certains vont même jusqu’à affirmer que les NBT (dont la mutagenèse in vitro), sont des outils nécessaires à la transition agro-écologique et à l’adaptation des sytèmes agricoles face au changement climatique.

Dans le cadre de cette phase de consultation, la Via Campesina s’est retrouvée seule à défendre les projets d’arrêtés et de décret français, en rappelant que ceux-ci s’inscrivent dans la continuité directe de l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’UE le 25 juillet 2018 sur les nouveaux OGM. En marge de la procédure de notification à la Commission, d’autres acteurs ont également rappelé la nécessité de soumettre les variétés obtenues par les nouvelles techniques de sélection génétiques aux obligations d’évaluation, d’étiquetage et de traçabilité existantes en matière d’OGM, notamment le Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC), ou encore la Confédération paysanne (voir la tribune ICI).

Les contributions des parties prenantes relatives aux différents textes sont disponibles ICI (décret) ; ICI (arrêté fixant la liste des variétés rayées du Catalogue) ; et ICI (arrêté modifiant le Catalogue officiel français).

 

Contenu de l’avis circonstancié de la Commission européenne :

Ces prises de position militantes n’ont malheureusement pas fait le poids face à l’afflux des contributions pro-nouveaux OGM. Le 22 septembre 2020, la Commission a rendu son avis circonstancié, reprenant quasi mots pour mots les arguments des États membres et de l’industrie semencière. Selon elle, les projets notifiés, s’ils étaient adoptés par la France, seraient en contradiction avec la directive européenne OGM 2001/18 (qui ne fait pas la distinction entre mutagenèse in vivo et in vitro), mais aussi avec la législation de l’UE sur la commercialisation des semences. La Commission affirme en effet que l’adoption de ces textes risquerait de créer des distorsions de marché, car en cas de radiation du catalogue officiel français d’une variété inscrite par ailleurs sur le catalogue commun européen par un autre État membre, cette variété continuerait a être légalement cultivée et commercialisée dans l’UE, tout en étant interdite sur le territoire français. Une fois de plus, les considérations d’ordre éthique, social, sanitaire et environnemental sont totalement absentes du raisonnement de la Commission, qui choisit d’atrophier le débat en se concentrant exclusivement sur des arguments techniques et en omettant volontairement de justifier en quoi ces nouvelles techniques de mutagenèse seraient « sûres » et « sécurisées ».

Lien vers l’avis circonstancié de la Commission disponible ICI.

 

Et maintenant ?

Quid des conséquences d’un tel avis circonstancié ? Au niveau du calendrier d’abord, la période de statu quo a été automatiquement prolongée de trois mois, jusqu’au 9 novembre 2020. Mais durant cette période, il sera impossible à d’autres membres de la société civile d’envoyer des contributions écrites à la Commission. D’un point de vue juridique ensuite, la situation est complexe : d’un côté, le Gouvernement était contraint par le Conseil d’État d’adopter ces textes avant le 7 août 2020, afin de mettre le droit français en harmonie avec la décision « mutagenèse-VrTH » de la CJUE. De l’autre, la France est désormais tenue de re-travailler les trois textes en prenant en considération l’avis circonstancié de la Commission, avant de lui notifier les textes définitifs (et modifiés) qui auront finalement été adoptés. Dans le cas contraire, la Commission pourrait choisir d’attaquer la France devant la CJUE dans le cadre d’un « recours en manquement ».