Niveau juridique : International
La 24ème session ordinaire de l’assemblée générale de l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI) s’est tenue du 30 septembre au 9 octobre 2019, à Genève. Parmi les nombreuses décisions prises, une nous intéresse tout particulièrement : celle du renouvellement du mandat de Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC) pour 2020-2021 « en vue de finaliser un accord sur un ou plusieurs instruments juridiques internationaux, sans préjuger de la nature du ou des résultats, relatifs à la propriété intellectuelle, propres à garantir une protection équilibrée et effective des ressources génétiques, des savoirs traditionnels et des expressions culturelles traditionnelles. Le comité devra « [s’efforcer]principalement de réduire les divergences actuelles et de parvenir à une communauté de vues sur les questions essentielles (Les questions essentielles comprennent notamment, le cas échéant, les définitions, les bénéficiaires, l’objet de la protection, les objectifs, l’étendue de la protection et le point de savoir quels savoirs traditionnels ou expressions culturelles traditionnelles peuvent bénéficier d’une protection au niveau international, y compris la prise en considération des exceptions et limitations et des rapports avec le domaine public.) ».
Derrière ces termes se cachent un enjeu sensible : celui de l’obligation, ou non, de rendre public le matériel génétique utilisé pour mettre au point une invention lors de la demande de brevet. Sur ce point, deux positions s’affrontent :
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les partisans de ce que l’on appelle une divulgation obligatoire, c’est-à-dire l’obligation de « divulger » l’origine de la ressource génétique utilisée pour mettre au point l’invention sur laquelle porte la demande de brevet, et donc de fournir, le cas échéant, la preuve du consentement préalable éclairé et du partage des avantages. Cette position est portée en majorité par des pays d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Afrique, des Caraïbes comme l’Inde, la Chine mais aussi la Russie.
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les tenants de simples « mesures préventives », pour combattre l’octroi de brevets illicites, comme par exemple la création de bases de données pour que les examinateurs de brevets chargés d’apprécier la nouveauté et l’activité inventive aient accès à « l’état de la technique » au moment de la demande. Les pays industrialisés, en particulier la Suisse, les États-Unis, le Canada, le Japon, les États membres de l’Union européenne, les pays d’Europe Centrale et États baltes, s’opposent à la divulgation et défendent cette deuxième option.
Les négociations étaient restées bloquées en 2018, mais semblent vouloir reprendre en 2019, au sein de ce fameux comité.
Le directeur de ce comité, Ian Goss a en effet pris sur lui de proposer un projet de texte, afin d’accélérer l’accouchement d’un texte réglementaire.
Ce projet, dénommé « La protection des savoirs traditionnels : projets d’articles » (annexe 1 du rapport de l’IGC) reprend les deux positions :
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mise en place de bases de données «complémentaire[s] et défensive[s] », tant à destination du public pour la diffusion des savoirs traditionnels que des offices de propriété intellectuelle pour éviter la délivrance de brevets indus ou encore non publiques à des fins de codification et de conservation des savoirs traditionnels au sein des communautés (article 5 bis).
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exigence de divulgation (article 7). Sur ce point, plusieurs variantes, plus ou moins contraignantes, sont proposées, qui vont de la divulgation obligatoire pour les demandes concernant « tout processus ou produits qui se rapporte à des savoirs traditionnels ou les utilise » à la non-divulgation « à moins qu’une telle divulgation soit essentielle du point de vue des critères de brevetabilité ». Des propositions intermédiaires, comme la divulgation obligatoire restreinte aux inventions « qui se rapporte[nt] à des savoirs traditionnels protégés ou les utilise[nt] directement » ou encore la remise à la législation nationale sont prévues.
Les délégations étatiques ont favorablement accueilli cette proposition de Ian Goss, et, comme en témoigne le renouvellement du mandat de l’IGC, semblent prêts à reprendre les négociations sur cette base. Dans leurs déclarations, nombre ont soulignés l’importance de statuer rapidement sur ce point, afin d’éviter l’appropriation illicite des ressources génétiques et des savoirs traditionnels et la biopiraterie mais aussi de disposer d’un statut clair à même « d’encourager l’innovation ». « L’importance de la participation des peuples autochtones et des communautés locales aux travaux du comité » a aussi été soulignée.
Documents à retrouver sur le site de l’OMPI :
Rapport de synthèse,A/59/13 (point concernant l’IGC à partir p.9)
Rapport adopté par l’AG, WO/GA/51/18 (Travaux de l’ICG = point 20 de l’ordre du jour – p. 65 et suivantes)
Lien vers la page relative à l’Assemblée générale 2019 ici
Sur le sujet, voir aussi l’article d’Inf’OGM « OMPI : des brevets plus transparents en 2021 ? », Eric Meunier, 16 décembre 2019