Sénat - Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle - 29 mars 2013

Niveau juridique : France

Intervention de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à saluer, comme je l’avais déjà fait à l’occasion d’un débat sur la ruralité, la qualité de vos interventions sur un sujet que vous abordez, j’ai pu le constater, en spécialistes.

Les questions relatives aux semences, au végétal, au brevetage du vivant ont été présentées comme des sujets de société et des enjeux éthiques, et, effet, beaucoup de choix devront être faits dans l’avenir afin de déterminer quelle conception de l’agriculture, mais aussi de la société, nous souhaitons promouvoir.

Ce soir, je vais d’ailleurs laisser de côté l’aspect technique, trop vaste pour le cadre de ce débat, et m’en tenir aux grands principes et aux objectifs politiques qui en découlent.

La première question qui est posée porte sur le choix majeur entre le brevetage et l’obtention. Je tiens à dire de manière très claire que je suis, et cela depuis longtemps déjà, pour l’obtention face au brevetage du vivant…

Il s’agit d’un véritable choix stratégique.

Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles il est préférable de choisir l’obtention plutôt que le brevetage du vivant. Vous l’avez dit, il y a derrière ce choix la préservation d’une liberté essentielle. Le brevetage de l’innovation entraîne une captation qui nous rend directement dépendants non pas des chercheurs, mais de ceux qui se rémunèrent sur la recherche. Il y a là un véritable enjeu.

En tant que ministre de l’agriculture, je tiens donc à défendre l’obtention végétale par rapport au brevetage du vivant.

C’est le premier principe.

À partir de là, des questions se posent sur l’application des règles qu’entraîne ce choix, sachant notamment que la France dispose d’un secteur économique des semences qui fait d’elle un pays reconnu et présent à l’échelle internationale dans ce domaine.

J’ai rencontré, il y a quelques semaines, le ministre ukrainien de l’agriculture. Il m’a parlé de beaucoup de choses, à propos desquelles, d’ailleurs, je n’ai pas forcément répondu. Une question l’intéressait plus particulièrement, celle des semences. Il s’adressait au ministre de l’agriculture français parce qu’il savait que, derrière lui, toute une industrie était susceptible de lui apporter des garanties et les moyens de développer la production céréalière dans son pays.

Il y a donc bien là un enjeu économique.

Il se trouve, en outre, que l’on a, dans ce secteur, ce que l’on recherche dans beaucoup d’autres : un tissu de PME-PMI. D’ailleurs, leur nombre crée par lui-même de la diversité dans le choix des semences. C’est aussi, à mon sens, un élément dont il faut tenir compte.

J’ajoute que, d’après les chiffres que l’on m’a donnés, il s’agit d’un secteur qui investit de 13 % à 15 % de son chiffre d’affaires dans la recherche, ce qui en fait l’un des secteurs qui consacre le plus de fonds à celle-ci. Il finance ainsi la recherche privée, bien sûr, mais également la recherche publique, comme l’a dit M. Raoul.

On a là les éléments sur la base desquels je souhaite que l’on discute : un choix stratégique, celui de l’obtention, un secteur économique qui s’appuie sur un tissu de PME-PMI et une recherche qui trouve à se financer au travers du système mis en place.

Une seconde question se pose ensuite, qui est liée elle à l’histoire de l’agriculture et au rôle qu’ont eu les paysans et les agriculteurs au cours des siècles dans l’amélioration des semences végétales. Ainsi, entre les premiers épeautres et les blés actuels, des modifications majeures se sont produites ; résultat de la sélection empirique, de l’expérience et de la transmission de celle-ci, l’amélioration des semences a ensuite été permise aussi par la recherche académique et scientifique.

Je voudrais donc que l’on abandonne l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté la science, qui ferait avancer les choses, et, de l’autre, un monde agricole qui en serait dépendant. À cet égard, Michel Griffon, défenseur de l’agriculture écologiquement intensive, utilise une notion intéressante, celle de la « science implicative ». Les chercheurs cherchent, bien entendu, mais ils peuvent également s’appuyer sur l’expérience des agriculteurs. Il y a là un effet dialectique qui peut être tout à fait fructueux et permettre d’avancer de manière globale.

C’est tout le sens du débat entre Gérard Le Cam et Joël Labbé, dont les positions diffèrent sur la sélection des semences opérée par les agriculteurs eux-mêmes. Mais, au-delà, chacun a conscience, et c’est ce qui m’a frappé, de la nécessité de préserver un équilibre qui, personnellement, me semble positif. Or, basculer dans un sens ou dans l’autre pourrait le remettre en cause.

C’est ce qui m’amène au second principe : il faut préserver l’équilibre entre, d’une part, notre capacité à disposer d’un secteur économique de production de semences qui fonctionne et à financer une recherche qui permet à notre pays d’être reconnu à l’échelle mondiale, et, d’autre part, la liberté laissée aux agriculteurs de faire des choix.

Voilà les deux grands principes sur lesquels je veux que s’appuie la concertation que nous allons ouvrir au sein du ministère de l’agriculture pour aboutir aux fameux décrets en suspens. D’après ce que l’on me dit d’ailleurs, ce sont non pas dix, mais quatre décrets et un arrêté qui seraient en attente de publication, qui pourrait intervenir d’ici à la fin du premier semestre 2013.

Au cours de cette concertation, nous allons donc tenter, sans l’abroger ni la remettre en cause, d’améliorer la loi afin de parfaire cet équilibre auquel je suis attaché. C’est, je le répète, la ligne que je souhaite voir retenue.

La concertation pourra, bien sûr, porter aussi sur plusieurs des points qui ont été évoqués ce soir.

Ainsi, s’agissant de l’autorisation des espèces pour les semences de ferme, il faudra évidemment augmenter le nombre d’espèces autorisées.

S’agissant de la rémunération, il me semble que l’on pourrait s’appuyer sur le principe d’une médiation pour conclure des accords interprofessionnels dans ce domaine, sur le modèle de ce qui a été fait pour le blé tendre.

Ces accords doivent permettre d’engager le débat sur la biodiversité et de trouver des solutions pour le financement de la recherche, tout en préservant la possibilité d’avoir recours à des semences de ferme.

Il faudra cependant que notre réflexion sur l’ensemble des variétés de semences, et en particulier sur les variétés anciennes, reste au sein du cadre actuel. Il faut, certes, que nous soyons ouverts et que ces variétés continuent à pouvoir être utilisées, mais elles doivent l’être dans le cadre que nous connaissons, c’est-à-dire celui du catalogue. Je le précise, je suis favorable à l’extension des espèces autorisées.

Agir dans un cadre, ce serait être corseté, sortir du cadre, ce serait être libre ? On peut très bien évoluer librement dans le cadre général et c’est en tout cas l’objectif que nous visons !

S’agissant de la question spécifique de la recherche, je suis attaché à un système de financement qui permette demain, comme c’est le cas aujourd’hui, d’avoir recours aussi bien à la recherche publique qu’à la recherche privée, car l’une et l’autre peuvent et doivent concourir à l’amélioration des semences.

J’évoquerai encore un point, d’ordre législatif. Je réfléchis au moyen d’encourager les échanges de semences de ferme entre agriculteurs et je pense que les groupements d’intérêt écologique et économique que nous allons mettre en place avec la loi d’avenir agricole nous permettront de le faire. Il ne s’agit pas d’ouvrir territorialement la possibilité de ces échanges, car se poserait immédiatement la question du niveau du tonnage ou du territoire sur lequel il s’applique, mais, dès lors que l’on s’engage dans ce processus collectif, il ne devrait y avoir aucun problème.

Tels sont les enjeux que je retiens du débat de ce soir, même s’il porte aussi sur d’autres questions, comme celles des semences paysannes. Différentes des semences de ferme, elles ne répondent cependant pas, du fait de leur variabilité, à l’exigence de stabilité, qui fait partie des critères pour l’obtention végétale. Si toutefois des semences paysannes étaient stables, aucune raison ne s’opposerait à ce qu’elles entrent dans ce cadre.

En conclusion, nous devons être ouverts, et c’est ce à quoi le ministère s’engage, tout en gardant le cadre fixé par loi de 2011 et nous devons avoir pour objectif, je le répète parce que c’est fondamental, de défendre le système de l’obtention par rapport à celui du brevetage.

Que les États-Unis, l’Australie et le Japon aient opté pour le système du brevetage alors que la France et l’Allemagne ont défendu celui de l’obtention dans la négociation qui a eu lieu à l’échelle européenne est symptomatique de l’enjeu stratégique qui s’attache à ce choix.

Je suis donc satisfait de cette discussion, mesdames, messieurs les sénateurs, et ouvert au débat qui va s’engager. J’ai bien compris que la loi de 2011 avait suscité de nombreuses questions. Elle permet toutefois des améliorations et fixe des objectifs que son rapporteur a rappelés. En cela, elle constitue une base que nous pourrons améliorer et adapter, tout en restant dans le cadre qu’elle fixe, car c’est ce cadre qui, tout en garantissant la liberté des agriculteurs, permet de financer la recherche et de préserver un secteur économique. Il doit en effet continuer à faire de la France un leader dans le secteur de l’agro-écologie tout en assurant la performance, c’est-à-dire la viabilité, économique et écologique de notre agriculture, pour ne pas dire de nos agricultures !

En matière de semences, des champs, si je puis dire, sont ouverts…

www.senat.fr/seances/s201303/s20130327/s20130327.pdf