5ème session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur un projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales

Niveau juridique : International

Ce groupe de travail, mis en place en octobre 2012, a pour mandat de négocier, finaliser et présenter au Conseil un projet de déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. La 5ème session de ce groupe, qui devrait être la dernière avant présentation du texte pour vote au Conseil des droits de l’Homme puis à l’Assemblée générale des Nations Unies, s’est tenue du 9 au 13 avril 2018.

Le compte rendu officiel de la réunion n’a pas encore été publié.

Pour l’instant, seuls le brouillon de compte-rendu, les échanges pendant la réunion, ainsi que les différents documents préparatoires (positions des différentes parties-prenantes), sont disponibles publiquement sous le lien suivant.

Un projet de déclaration révisée circule, les parties prenantes ont été invitées à rendre leurs observations avant le 20 avril 2018.

Comprendre les bases de la discussion de la 5eme session

Dans l’attente des résultats définitifs de 5eme session, il est pertinent de comparer les changements ayant eu lieu entre la version de la 3eme session ( 2016) et de la 4eme session (2017). C’est sur cette dernière que se sont basées les discussions d’avril 2018.

On remarquera, lors de la 4ème session (mai 2017), un fort amoindrissement des références aux semences (en comparaison à la version issue des travaux de la 3ème session en 2016, voir fiche veille n° 1517). Cela avait notamment eu lieu, sous la pression de l’UE qui craint la création de nouveaux droits. De manière générale, l’UE est aussi réticente à parler de droits collectifs et pousse à supprimer dans l’ensemble du texte les références « individuellement et collectivement ».

  • Pour l’article « Droit aux semences » (art 19 version 2017, anciennement art. 22 version 2016)

Disparition du premier paragraphe qui reconnaissait la contribution des paysans à la conservation et au développement des ressources phytogénétiques.

La structure même de l’article change et passe à une description factuelle de ce qu’est « le droit aux semences », et de ses différents aspects (protection de savoirs traditionnels relatifs aux ressources phytogénétiques (RPG)), droit au partage des avantages découlant de l’utilisation des RPG, droit de participer à la prise de décision que les questions de la préservation et l’utilisation durable des RPG, droit de conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme ou du matériel de multiplication). On retrouve dans l’article 19 point 1 un vocabulaire assez similaire à celui du TIRPPA. Les autres points de l’article appuie sur les obligations des Etats dans l’application de ces différents droits.

Si les points deux et cinq de l’article 19 précisent les droits primordiaux et principaux des paysans sur leurs semences, on perd parfois en précision par rapport à la version de 2016 qui comprenait par exemple «  la reconnaissance de la  validité des systèmes de certification paysans ». Le point 8 de l’article 19 traite de la cohabitation entre les droits des paysans et les réglementations semences existantes (DPI, certification, commercialisation) sans citer les réglementations sanitaires.

  • Pour l’article « Droit à la diversité biologique » (art. 20 , anciennement art. 23).

Le premier alinéa, « 1. Les États reconnaissent l’énorme contribution que les communautés locales et autochtones ainsi que les paysans de toutes les régions du monde ont apportée et continueront d’apporter à la conservation et au développement de la biodiversité agricole, qui constitue la base de la production alimentaire et agricole dans le monde entier. » a été supprimé, et le contenu se retrouve en partie dans le préambule de la déclaration.

La référence au « droit de conserver, d’échanger, de vendre ou de céder les semences, les espèces végétales et les races animales qu’ils élaborent » est supprimée, ainsi que celle à la reconnaissance par les Etats de « l’usage collectif de la biodiversité agricole et le droit collectif à la biodiversité agricole, ainsi que le droit aux connaissances associées développées et gérées par les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales. ». On retrouve dans la version de 2017 des références plus larges aux pratiques et connaissances agricoles des paysans (points 1 et 2 de l’article 20),

De même, les paragraphes 4. et suivants sont supprimés « 4. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit d’exclure des droits de propriété intellectuelle les ressources génétiques, la biodiversité agricole et les savoirs et technologies qui y sont associés qui sont possédés,découverts ou développés par leurs propres communautés. ».

Le droit de participation à la prise de décisions sur les questions liées à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité agricole (§ 8) est supprimé.

  • Enfin, dans l’article « Droits culturels et savoirs traditionnels », toute référence aux semences est supprimée.

Les discussions de la 5eme session, avril 2018

Dans les déclarations liminaires, il ressort clairement que le droit aux semences et à la biodiversité sont une pierre d’achoppement pour l’UE, qui exprime la crainte de créer de nouveaux droits dans un document non contraignant. Le Royaume-Uni ajoute qu’il ne reconnaît pas les droits collectifs, à l’exception du droit à l’auto-détermination, tandis que les Etats-Unis reprennent leur position d’opposition à la déclaration, en faisant valoir que le Conseil des droits de l’homme n’est pas l’instance appropriée pour les questions couvertes par ce projet de déclaration. Les droits de l’homme s’apprécient individuellement et non collectivement, car l’octroi de droits collectifs peut l’emporter sur les droits individuels. Ils se sont donc dissociés de ce groupe de travail et de ses conclusions.

Dans les discussions sur les articles plus spécifiquement relatifs aux semences (art. 19) et à la biodiversité (art. 20) ainsi que celui qui pose le cadre de la déclaration en définissant les paysans (art. 1) quelques points saillants  dans les discussions sont à relever :

  • art. 1 « Droit des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales » 

Les discussions se sont focalisées sur le fait de savoir s’il ne fallait pas préféré le terme de « persons » à celui actuel de « people ». Certains ont aussi porté sur le devant de la scène la question des travailleurs migrants. Les organisations de la société civile ont souligné l’importance des droits des paysans pour lutter contre les stigmatisations historiques, en particulier à l’égard des femmes. Certains Etats membres ont suggéré d’ajouter d’autres catégories, comme les communautés traditionnelles et locales.

  • art. 19 « Droit aux semences » 

Certaines délégations ont affirmé qu’elles ne reconnaissaient pas ce droit et ont demandé à ce que l’on parle plutôt « d’accès aux semences ». Cet article pourrait selon elles porter atteinte aux accords internationaux sur la propriété intellectuelle et au mandat de l’OMPI. Elles ont fait des propositions rédactionnelles dans ce sens (qui seront disponibles dans l’annexe 3 du compte-rendu définitif). Suite à la proposition de l’UE, une intervention a réitéré l’importance de conserver « le droit » aux semences et non pas « l’accès » aux semences, ce dernier impliquant une transaction financière.

Toutefois, de nombreuses autres délégations ont salué la formalisation d’un droit aux semences, droit fondamental des paysans, menacé par des modifications dans la législation sur les brevets, en particulier la possibilité de déposer un brevet sur des variétés existantes. Les experts et les organisations de la société civile ont appelé à la reconnaissance d’un droit aux semences, présent dans la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et ont affirmé la primauté des droits de l’Homme sur les droits de la propriété intellectuelle. En outre, plusieurs participants ont souligné qu’il n’y avait pas de conflit avec les conventions internationales telles que la Convention sur la diversité biologique dans la mesure où elles exigent un partage équitable des bénéfices.

  • art. 20 « Droit à la diversité biologique » 

Aucune objection majeure n’a été soulevée quant au contenu de l’article, mais certaines délégations ont suggéré un libellé plus concret. Ainsi un délégué a proposé de changer le titre en « Diversité biologique », supprimant le « Droit à ». Un Etat membre a suggéré que l’affirmation du droit à la diversité biologique aille de pair avec l’accent mis sur les obligations des paysans en matière de préservation de la biodiversité. Un autre Etat a suggéré d’inclure dans le champs de cet article les cultures vivrières autochtones et traditionnelles.

Les experts et les représentants de la société civile ont préconisé de préserver la référence au droit à la diversité biologique. Un expert a suggéré de réintégrer dans cet article le contenu du paragraphe 4 de l’art. 26, qui prévoyait que «Les États prendront des mesures, le cas échéant, pour s’assurer de l’obtention du consentement préalable éclairé ou de l’approbation et de l’implication des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales pour l’accès aux ressources génétiques, lorsqu’ils sont formellement en droit d’accorder l’accès à de telles ressources. ».

Projet de compte-rendu à télécharger ici (uniquement en anglais à ce jour)

Vidéos de la réunion ici

Quelques réactions

Déclaration conjointe de la La Via Campesina, d’autres mouvements sociaux et d’organisations de la société civile pour la conclusion de la 5è session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non-limitée sur une Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant en zones rurales

Résolution du Parlement européen du 3 juillet 2018 sur la violation des droits des peuples autochtones dans le monde, y compris l’accaparement des terres (2017/2206(INI)) : Le 3 juillet 2018, le Parlement européen a adopté une résolution sur la violation des droits des peuples autochtones y compris l’accaparement des terres, dans laquelle il invite notamment les Etats membres à « créer les conditions nécessaires pour réaliser les objectifs énoncés dans la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et à encourager leurs partenaires internationaux à l’adopter et à l’appliquer pleinement ».

EDIT du 10 octobre :

Le rapport final est maintenant disponible.

En ce qui concerne la position de l’UE, sur le droit aux semences (art. 19) il ressort clairement que la délégation est opposée à la reconnaissance d’un « droit à », préférant parler d’un « accès à », et veut minimiser les obligations des Etats sur ce point. On pourra noter aussi les tentatives pour faire clairement référence au système marchand de semences. Ainsi les propositions aux alinéas 4 et 6 (partie surlignées)

«4 .States shall ensure that a breeding and seeds sector is developed and/or has access to local markets, to provide seeds of sufficient quality and quantity are available to peasants at the most suitable time for planting, and at an affordable price. (…)

6.5 States shall support commercial and where appropriate peasant seed systems, and promote the use of peasant seeds and agrobiodiversity. »

L’importance accordée à la prise en compte des droits de protection de variétés végétales est aussi à noter.

Le Japon rejoint la position européenne sur le remplacement du « droit à » à la simple mention d’un « accès à ».

Certaines explications additionnelles des experts, détaillées dans l’annexe IV (p. 56 du document )sont intéressante à noter. Ainsi pour l’article 19 (droit aux semences – p. 60 du rapport), ils relèvent l’appropriation injustifiée des connaissances traditionnelles des paysans et des personnes qui travaillent dans le zones rurales, qui leur a causé du tord dans l’exercice de leur activité. De plus, ils soulignent que la digitalisation des informations génétiques peut avoir un nouvel impact négatif pour les paysans, ce qui affecterai aussi les générations futures.

En ce qui concerne l’article 20 (droit à la diversité génétique), ils soulignent que cette référence au « droit à » doit être maintenue et que le consentement préalable éclairé ou l’approbation et l’implication des paysans doit être obtenue pour l’accès aux ressources génétiques sur lesquelles ils ont le droit établi d’accorder l’accès à ces ressources.

Lien vers le rapport final ici