Rapport d’information déposé par la com des aff. européennes (AN) sur la ratification et la mise en œuvre du protocole de Nagoya, 13 novembre 2012

Niveau juridique : France

RÉSUMÉ DU RAPPORT (résumé officiel)

À partir des années quatre-vingt, plusieurs secteurs industriels ont développé une pratique contestée : la collecte de ressources naturelles de la planète et de connaissances traditionnelles relatives à leur bon usage, afin de les exploiter commercialement. Ces opérations, conduites sans démarches préalables d’autorisation auprès des autorités nationales et sans dispositifs de compensation en faveur des populations locales, constituent essentiellement un transfert de richesse du Sud – réservoir de la majeure partie de la biodiversité mondiale – vers le Nord, sans compensations monétaires ou non monétaires.

Le protocole de Nagoya, dit « accès et partage des avantages » (APA), rédigé en octobre 2010, lors de la 10e Conférence des parties (CdP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), érige la « biopiraterie » en objet juridique et se donne pour ambition de venir à bout de cette pratique déloyale. Son article 1er lui donne en effet pour objectif « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des technologies pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux technologies et grâce à un financement adéquat, contribuant ainsi à la conservation de la diversité biologique et à l’utilisation durable de ses éléments constitutifs ».

Il s’agit de subordonner l’utilisation de ressources génétiques à trois conditions : l’obtention du consentement du pays fournisseur préalablement à toute démarche de prospection et de collecte ; le versement de contreparties monétaires ou non monétaires, pouvant prendre la forme de redevances financières ou de coopération en recherche et développement ; un réinvestissement d’une partie des bénéfices dans la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.

Le secrétariat de la CDB ne disposant d’aucun moyen coercitif et la communauté internationale n’étant pas prête à marcher en ligne sur ce dossier, le protocole de Nagoya est le seul instrument international qui permette d’agir contre la « biopiraterie ». Il ne doit cependant pas être considéré comme la panacée ; l’efficacité de sa mise en œuvre dépendra de la détermination des parties signataires à intégrer dans leur droit des dispositions contraignantes pour les utilisateurs ressortissantes de leur juridiction.

Signé par l’Union européenne le 23 juin 2011, ainsi que par vingt-quatre de ses États membres – dont la France, le 20 septembre 2011 –, il n’a cependant encore été ratifié que par huit pays, dont aucun de notre continent.

La Commission européenne propose d’accélérer l’intégration des règles contenues dans cet accord international, à travers deux textes, qui ont respectivement été soumis au Conseil et au Parlement européen le 5 et le 4 octobre 2012 : une proposition de décision du Conseil portant ratification du protocole ; une proposition de règlement tendant à créer un cadre de mise en œuvre au niveau communautaire.

En s’emparant de ces deux propositions avec célérité, la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale marque son intérêt envers une question stratégique pour les intérêts de la France, de l’Union européenne et de l’humanité.

Premièrement, la France présente une spécificité : d’une part, grand pays industriel très actif en matière de recherche, de développement et de valorisation, elle est « utilisatrice » de ressources génétiques ; d’autre part, à travers ses départements et collectivités d’outre-mer – particulièrement la Guyane et les îles du Pacifique –, c’est aussi un pays « fournisseur » de ressources génétiques. Si la France n’est pas le seul pays du monde à posséder ce double statut, cette spécificité n’en est pas moins rare. Un volet du projet de loi-cadre relatif à la biodiversité que le Gouvernement s’apprête à déposer sera du reste consacré à l’APA.

Deuxièmement, depuis plus d’une dizaine d’années, dans une double optique de protection environnementale de son propre territoire et de contribution à l’effort global en faveur des équilibres écologiques planétaires, l’Union européenne s’attache à conduire une politique d’ensemble en faveur du développement durable, incluant les aspects biodiversité, plus particulièrement la question de la gestion des ressources génétiques. Sa stratégie sectorielle « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel » – participant à la stratégie Europe 2020 –, qu’elle a adoptée, le 3 mai 2011, en vue de conserver et d’améliorer l’état de la biodiversité d’ici à 2020, fixe ainsi comme objectif de « réglementer l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation », ce qui passe par la ratification et la mise en œuvre du protocole de Nagoya.

Ce rapport d’information, élaboré au terme d’un court cycle d’auditions, comporte une série de recommandations ayant vocation à être intégrées dans les négociations communautaires à venir : d’une part en vue d’encourager la ratification du protocole de Nagoya par l’Union européenne comme par ses États membres ; d’autre part dans le souci d’améliorer le contenu de la proposition de règlement, au regard de la situation spécifique de la France mais aussi de la nécessité de protéger efficacement les droits des pays du Sud ainsi que de leurs communautés autochtones.

Il doit être considéré comme un travail d’étape. En effet, compte tenu de la durée prévisible des discussions entre co-législateurs, mais aussi de la nécessité de suivre, à l’échelle européenne et mondiale, la façon dont le protocole de Nagoya produira progressivement ses effets, la Commission des affaires européennes pourra être amenée à se saisir de nouveau du sujet. En outre, plus généralement, les dispositifs et les résultats de la politique européenne de sauvegarde de la biodiversité mériteraient sans doute d’être investigués au cours de la législature.

INTRODUCTION :

GÉNÉRALITÉS SUR LES RESSOURCES GÉNÉTIQUES

ET LA BIOPIRATERIE

Mesdames, Messieurs,

Les industries des secteurs chimique, pharmaceutique, agroalimentaire, cosmétique et horticole collectent des ressources naturelles de la planète et des connaissances traditionnelles relatives à leur bon usage, afin d’isoler des gènes en vue de reproduire artificiellement puis d’exploiter commercialement certaines substances à forte valeur ajoutée. Ces opérations d’appropriation privée de richesses naturelles et culturelles en vue de leur marchandisation, conduites sans démarches préalables d’autorisation auprès des autorités nationales et sans dispositifs de compensation en faveur des groupes autochtones, se sont beaucoup développées depuis les années quatre-vingt, en particulier dans les pays du Sud, qui concentrent une grande partie de la biodiversité mondiale, du fait :

  • du processus de mondialisation et du déficit de régulation internationale des pratiques commerciales ;

  • des progrès en matière de génie génétique, qui ont ouvert de nouvelles perspectives à la sélection animale et végétale.

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