L’INRA devrait ouvrir un Grenelle de la recherche agronomique

Matthieu Calame,

Encore un effort pour comprendre, Madame Guillou ! La direction de l’INRA a encore réagi, développant un argumentaire qui somme toute a peu bougé, évoquant la neutralité de l’Institut qui ne serait ni pour ni contre les OGMs, le caractère publique de la recherche, son aspect non-commercial et la nécessité de maintenir en France une recherche sur la biotechnologie et de garder les chercheurs pour éviter de devenir dépendant.

Autant le dire tout de suite, je suis de ceux qui pensent que, face aux défis biens réels de l’agriculture dans le monde, les OGMs sont inutiles et incertains. Nous avons suffisamment de recul maintenant dans les pays qui les ont utilisés massivement pour dire que cette opinion est vérifiée. Chères, les semences OGM n’ont d’utilité – et encore seulement à court terme – que pour les agricultures extensives et fortement mécanisées. Bien sûr, ceux qui pensent que l’avenir de l’humanité repose sur une concurrence exacerbée nation contre nation, économie contre économie, entreprise contre entreprise, individu contre individu jugeront que c’est un argument suffisant. Mais depuis la grande crise qui a débuté en 2008, le caractère délétère de cette chimère est malheureusement avéré. Inutile de répéter donc en boucle les argumentaires.

Acceptons donc le débat tel que posé par la direction de l’INRA et interrogeons-nous sur la question : qu’est-ce qu’une recherche publique ? Comment et par qui exactement et selon quelles modalités sont décidés les choix de recherche ? Qui détermine les orientations ? Il existe en la matière plusieurs visions. La première, celle qui veut que les chercheurs en décident eux-mêmes. La société serait donc appelée à financer la recherche selon une logique de mécénat. La seconde, dominante dans les années d’après-guerre veut que l’Etat, dans les faits le pouvoir exécutif et la haute administration plus que le parlement, oriente la recherche. Il l’a d’ailleurs fait en créant de puissants instituts dont l’INRA. La troisième, qui a dominé lors des 30 années néo-conservatrices que nous venons de connaître veut que la recherche avance par partenariat avec des grands acteurs économiques privés. La quatrième et dernière, enfin, considère que les grands enjeux de la recherche publique doivent être déterminés par des processus plus participatifs.

Dans tous les cas, ce dont il est question ici n’est pas la co-construction d’un protocole particulier de recherche sur la vigne, mais bien des grandes directions qui en amont structurent sur le long terme la recherche nationale : Quel est le projet de la nation en matière de recherche et pour quel type de société ? Comment sont affectées les grandes masses financières ? Quelles règles en interne pour leur répartition entre les équipes ? Comment sont embauchés, évalués et promus les chercheurs ? Comment la recherche est-elle organisée ? Comment se fait l’arbitrage ?

Président dans les années 2000 de l’Institut technique d’agriculture biologique, j’ai été amené à dialoguer avec l’INRA et à mesurer le manque flagrant de consistance du dispositif mis en place par l’institut en matière de recherche en agriculture biologique. Il n’y a évidemment aucune commune mesure entre l’engagement pris par l’INRA depuis les années 1980 en faveur des biotechnologies (à l’époque, l’INRA était le vecteur d’introduction des OGM en France), et les dispositifs transversaux et bien légers supposés répondre à la demande de la société en terme d’agriculture biologique. Dans le premier cas il s’est agit d’une décision stratégique à long terme qui a réorganisé tout le département GAP (Génétique et amélioration des plantes) de l’Inra. Dans le second cas j’ai bien souvent eu l’impression que la direction de l’institut pratiquait le green washing. Pire, son souci était avant tout de donner l’impression d’occuper le terrain pour éviter que, de guerre lasse, ne se développent des institutions alternatives.

C’est donc autant la citoyenne Marion Guillou, puisque c’est en tant que citoyenne qu’elle s’est parfois exprimée (Les Echos du 17 août) que la directrice que j’invite a engager une réflexion de fonds sur le rôle d’un institut de recherche publique et son mode de gestion dans nos sociétés en prenant en compte les bouleversements politiques et sociaux qui les traversent. Oui, la recherche est touchée par la perte de confiance provoquée par la fin du compromis fordiste caractéristique des trente glorieuses. Oui, elle doit mieux comprendre la société qu’elle prétend servir. Oui, la croissance du niveau scolaire général de la population associée à quelques désillusions ont entraîné un désenchantement vis-à-vis de l’innovation technique comme solution miracle. Oui, il existe un contexte politique et social tendu où s’affrontent à travers le monde des projets de société parfois antagonistes. Oui la question des orientations et de l’organisation de la recherche est une question politique majeure comme en témoigne d’ailleurs l’activisme des lobbies. Tout cela c’est la réalité humaine et sociale. La citoyenne Marion Guillou ne peut s’en affranchir ni nous servir un argumentaire naïf.

Et puisque les Grenelles furent à la mode et que le Comité opérationnel « recherche » du Grenelle de l’environnement fut le seul à exclure le monde associatif, l’INRA devrait ouvrir un Grenelle de la recherche agronomique. Une négociation multipartite sur la manière dont la recherche agronomique devrait s’organiser et fonctionner pour répondre, avec autant d’enthousiasme qu’elle en a montré pour les OGMs, aux enjeux de l’agriculture biologique ou écologique, à la préservation de la biodiversité domestique dans un cadre mutualiste, dans la foulée des prix nobel d’Elinor Ostrom et Oliver Williamson sur les « communs », et qui nous préserve du « drame des privés » incarné par les brevets sur le vivant.

Notes

Matthieu Calame est aussi directeur de la fondation C. L. Mayer pour le progrès de l’homme. Il a publié Une agriculture pour le XXIe siècle (ECLM, 2007) et La Tourmente alimentaire (ECLM, 2008)

Matthieu Calame, agronome, ancien président de l’Institut technique d’agriculture biologique

Références complètes

Le Monde, édition du 6 septembre 2010