PLACE DES AGRICULTEURS DANS L’UTILISATION, CONSERVATION ET VALORISATION DE LA BIODIVERSITÉ AGRICOLE

Intervention réalisée lors du colloque AFCEV-BRG ’les légumes : un patrimoine à transmettre et à valoriser », septembre 2005

Hélène Zaharia,

Résumé

Les agriculteurs ont été historiquement utilisateurs, mainteneurs et gestionnaires de la biodiversité. La spécialisation du métier de semencier et des systèmes de production de ces dernières décennies ont converti l’agriculteur en « utilisateur de semences » et la biodiversité cultivée dans les fermes a fortement diminué. Ces dernières années, des agriculteurs impliqués dans des démarches alternatives (agricultures biologiques, biodynamiques, paysannes) ont reconquéri une autonomie et un savoir-faire vis à vis de la semence, pour pérenniser leurs pratiques. Les espèces concernées, formes d’organisation et objectifs des agriculteurs impliqués sont souvent variés. Les agriculteurs engagés dans ces démarches peinent aujourd’hui à trouver leur place dans un cadre réglementaire et institutionnel qui cloisonne fortement les ressources génétiques d’un côté et les semences de l’autre.

Utilisation et valorisation de la biodiversité dans les fermes

Aujourd’hui en France, une partie des fermes basent leur production sur l’utilisation de variétés de terroir ou paysannes. Par exemple, des maraîchers en vente de proximité recherchent, pour répondre aux demandes de leur clientèle, une grande diversité de légumes ou fruits intéressants du point de vue gustatif, plutôt que d’aptitude à la conservation. Ces demandes ne représentent pas, pour chaque variété, des volumes suffisants pour amortir les coûts d’inscription ou de maintenance.

Les contraintes qui limitent ces pratiques

Techniques et matérielles : absence de matériels adaptés pour récolter, trier et stocker de petites quantités de semences, difficultés pour accéder à l’information sur les variétés anciennes, difficultés pour trouver des semences de variétés de pays, forte perte de savoir-faire agricole.

L’absence de reconnaissance scientifique : le travail de gestion dynamique de la biodiversité dans les fermes se base sur une recherche d’adaptabilité des plantes. La diversité et la variabilité sont ici des atouts. Ainsi, ces démarches ne peuvent se baser sur les approches classiques de la sélection variétale.

Un cadre légal inadapté : entre la réglementation générale sur les semences et la conservation des ressources génétiques, quel cadre de légalité pour les agriculteurs ?

Les conditions nécessaires pour faciliter la participation des agriculteurs à la gestion dynamique de la biodiversité

Un cadre légal spécifique doit être aménagé pour permettre la valorisation et l’échange de semences de ressources phytogénétiques cultivées dans les fermes. Le travail des agriculteurs ou artisans « conservateurs/ développeurs » de la biodiversité doit par ailleurs s’articuler avec celui des réseaux de conservation ex-situ et in-situ.

Enfin, le travail de maintenance de variétés du domaine public menacées de radiation parce que commercialisées en trop petites quantités pour en amortir le coût doit être soutenu et encouragé.

Texte complet

1. Introduction

Les agriculteurs ont été historiquement utilisateurs, mainteneurs et gestionnaires de la biodiversité. La spécialisation du métier de semencier et des systèmes de production de ces dernières décennies ont converti l’agriculteur en « utilisateur de semences » et la biodiversité cultivée dans les fermes a fortement diminué. Ces dernières années, des agriculteurs impliqués dans des démarches alternatives (agricultures biologiques, biodynamiques, paysannes) ont reconquéri une autonomie et un savoir-faire vis à vis de la semence, pour pérenniser leurs pratiques. Les espèces concernées, formes d’organisation et objectifs des agriculteurs impliqués sont souvent variés. Je partirai de 2 exemples différents pour identifier les obstacles que rencontrent aujourd’hui les agriculteurs et repérer les leviers potentiels pour favoriser leur implication dans la gestion de la biodiversité.

1er cas : des agriculteurs bio de Bretagne qui se sont organisés pour sélectionner des variétés de chou-fleur répondant à leurs besoins, avec le soutien de l’INRA. Depuis 2001, un projet commun IBB (Inter Bio Bretagne) - INRA s’est donné pour objectif l’évaluation des ressources génétiques de choux-fleurs d’hiver collectés dans la région en 1983 et conservées à l’INRA, d’une part, et de choux-fleurs d’automne appartenant à diverses collections françaises et étrangères, d’autre part. Aujourd’hui, pour pérenniser leur travail, une dizaine de paysans souhaitent poursuivre la sélection de ces populations, produire des semences et les échanger à l’intérieur du groupe et plus largement aux différents membres des deux coopératives qu’ils représentent (Armorique Maraîchère et l’APFLBB). En effet, pour couvrir la période de production de 9 mois, il faut un grand nombre de variétés (1 à 2 par mois) dont la fourniture des semences nécessitent le travail en réseau de plusieurs producteurs.

2ème cas : le travail concerté des « artisans semenciers » pour la maintenance de variétés radiées du catalogue. Les artisans semenciers sont en général des agriculteurs qui ont spécialisé l’activité de leur ferme sur la production d’une grande gamme de variétés anciennes de potagères, aromatiques et fleurs. Ils ont souvent une structure commerciale associée qui leur permet la vente des semences (par correspondance ou sur les foires). Ces artisans semenciers sont les principaux mainteneurs des variétés du registre amateur (par exemple, sur 250 variétés, 185 sont maintenues par la Ferme de Sainte Marthe, 26 par leBiau Germe, etc.). Ces artisans semenciers (Le Biau Germe, Germinance, SCPA Ferme de Sainte Marthe, Essem’bio, Les Semailles, Graines del Pais) se sont récemment réunis au sein de l’association « Croqueurs de carottes » pour se répartir la maintenance de variétés potagères radiées du catalogue et obtenir leur réinscription au catalogue ;

A partir des ces exemples, il nous paraît essentiel de souligner trois points quand on parle de la « place des agriculteurs » dans la gestion de la biodiversité :

1.la frontière entre « ressources génétiques » et « variété cultivée » est artificielle. Dans les fermes, il s’agit avant tout de « gestion dynamique » de la biodiversité, et ceci relève à la fois du domaine de la conservation de ressources génétiques, de la production agricole pour la vente de la récolte et de la production de semences issues de variétés anciennes, locales ou paysannes. Les dites « ressources génétiques » ne sont, le plus souvent que des variétés cultivées représentatives de l’époque et du système agricole du lieu où elles ont été collectées. Conservées en collection, elles sont précieuses aujourd’hui pour les paysans qui veulent préserver et retrouver des plantes dont l’intégrité n’a pas été perturbée par les biotechnologies, condition nécessaire à la pratique et à l’éthique de l’AB. Une fois cultivées, elles peuvent évoluer sans objectif d’être fixées comme variété commerciale.

2.Pour que des agriculteurs participent à la gestion de la biodiversité, la condition sine qua non est la valorisation, soit par la vente des produits (les choux-fleurs dans les exemples précédents), soit par la vente des graines, dans le cas des agriculteurs-artisans semenciers

3.Si cette valorisation n’est pas suffisante pour couvrir les coûts de la gestion de la biodiversité, il est de la responsabilité de l’Etat, gestionnaire de biens collectifs comme la biodiversité, de subventionner une partie de ce travail (sauvegarde d’un patrimoine commun)

2. Les obstacles rencontrés

2.1. Perte de savoir-faires et spécialisation des systèmes de production

Pour que la participation des agriculteurs dans la conservation et l’utilisation de la biodiversité se développe, il y a un véritable besoin de reconquérir les savoir-faire et connaissances sur la sélection, la maintenance et la production de semences et plants à la ferme. Les activités de formation et d’échange de savoirs sont ainsi un des axes majeurs des membres du Réseau. La collaboration avec la recherche à la fois pour mieux caractériser ces pratiques paysannes et les soutenir d’un point de vue méthodologique est de ce point de vue un élément essentiel.

2.2. Coût et critères de l’inscription au catalogue

Pour vendre une graine, il faut que la variété soit inscrite au catalogue officiel. Le coût de l’inscription est sans commune mesure avec les volumes- réduits- de graines qui peuvent être vendus ou échangés pour chaque variété. Pourtant ces variétés peuvent présenter un intérêt au-delà du secteur amateur, en particulier pour l’agriculture biologique et de proximité. Le contexte spécifique de l’utilisation de ces variétés fait que ce sera toujours de faibles volumes de graines qui circuleront, rendant impossible toute inscription sur le catalogue standard. A titre d’exemple, inscrire au catalogue la variété de tomate Rose de Berne coûterait 1 740 €. Le chiffre d’affaire sur la Rose de Berne ou la Tomate des Andes, qui présentent un intérêt pour des maraîchers en vente de proximité, varie pour un artisan semencier de 1 500 à 3 000 €.

Les critères actuels (homogénéité et stabilité) sont très lourds à mettre en œuvre et ne sont pas à la portée d’un agriculteur ou d’un artisan semencier, tout simplement parce qu’une conduite en AB ne permet pas une standardisation du milieu. Il faut certes un certain niveau d’homogénéité des individus de la variété, mais appliquée de manière trop stricte, l’homogénéité devient un obstacle à la recherche d’adaptabilité, qualité nécessaire aux paysannes et biologiques qui doivent pouvoir évoluer avec leur environnement. Il en est de même pour le critère de stabilité, dont on pourrait aussi débattre de la définition : de quelle stabilité parlons-nous quand on considère qu’un hybride est plus stable qu’une variété traditionnelle ?

Ainsi, ce qui est en cause ici, n’est pas le principe d’identification- il est en effet nécessaire de décrire ce que l’on diffuse ou échange, même entre agriculteurs se connaissant - mais le carcan de l’homogénéité et de la stabilité. Le paysan recherche une qualité de produit, et peut identifier le végétal par son origine, son produit et son usage. La variété dite « biologique » redonne son sens primitif au mot « variété » , qui est un ensemble de plantes variées, qui se distinguent au sein de l’espèce par des critères communs à toutes les plantes du peuplement végétal qu’elles constituent.

2.3. L’interdiction de vendre des graines de variétés non inscrites au catalogue officiel à des professionnels

Dans le cas du chou-fleur, chaque agriculteur ne peut pas produire les graines de chacune des variétés anciennes identifiées comme intéressantes. La production de choux-fleurs sur toute la saison, nécessite un grand nombre de variétés. Le chou-fleur est allogame et les variétés doivent être reproduites en isolement. Il est matériellement impossible que chaque producteur assure la production en isolement de toutes les variétés dont il a besoin. Une organisation des échanges en réseau est indispensable, dans ce cas précis au niveau local sur un terroir déterminé.

Par ailleurs, l’adaptabilité des plantes d’une variété ne peut être maintenue que si les variétés changent régulièrement de milieu, ce qui implique des échanges plus ponctuels mais réguliers au delà du territoire local.

3. Les solutions proposées

3.1. Une inscription adaptée…

On peut envisager 2 types d’inscription :

  • sur un catalogue annexe au catalogue officiel comme envisagé actuellement avec la notion de variétés de conservation

Avec les conditions suivantes:

  • gratuité de l’inscription (ce qui signifie que la description et le contrôle sont subventionnés par l’Etat, la biodiversité étant un bien collectif ).

  • Description adaptée, avec notamment une marge de manœuvre vis à vis de l’homogénéité et la stabilité et la possibilité de critères de description élargis, comme les valeurs d’usage et culturelles ou encore l’origine.

  • Une inscription donnant droit à vendre à tous (amateurs et professionnels)

  • Un étiquetage mentionnant clairement que ces semences présentent des « garanties différentes » à celle du système officiel

Cette possibilité est une solution pour les actions impliquant des artisans semenciers. Elle ne répond pas forcément aux besoins des agriculteurs qui conservent, sélectionnent et produisent directement des graines de variétés anciennes, locales ou paysannes.

3.2. … et un espace de légalité en dehors de l’inscription

Dans le cas de réseaux d’agriculteurs multipliant et se distribuant des semences de variétés issues de sélection participative (cas du chou-fleur), le travail en réseau est indispensable à la gestion dynamique. Dans ce cas (échanges entre paysans, volumes limités, variétés non inscrites) l’inscription est un dispositif trop lourd et inapproprié. Une gestion décentralisée, avec enregistrement et notification des mouvements, doit pouvoir se mettre en place. Ce dispositif est plus accessible pour un groupe d’agriculteurs et moins coûteux pour l’Etat. Dès lors que ces variétés viennent à être commercialisées à une autre échelle ou par le biais d’artisans semenciers, alors on revient au système « variétés de conservation » .

3.3. Une implication des acteurs concernées

La première proposition, celle d’une inscription adaptée, peut exister dans le cadre de la réglementation européenne, avec le concept de « variétés de conservation » . L’application pratique de cette ouverture réglementaire doit associer les acteurs véritablement concernés et pas seulement les organisations spécialisées représentées au CTPS1. Ainsi une demande très claire du Réseau Semences Paysannes au Ministère de l’agriculture et aux gestionnaires de la biodiversité est qu’un groupe de travail ad-hoc soit constitué, associant les acteurs concernés (organisations de l’agriculture biologique et paysannes, associations de conservation de la biodiversité et artisans semenciers, associations environnementales, institutions et réseaux de la conservation des ressources génétiques et semenciers). Il semble aussi aujourd’hui nécéssaire de reconnaître le rôle des agriculteurs, notamment en faisant évoluer la charte du Bureau des Ressources Génétiques, qui en reconnait pas à ce jour le rôle de la « gestion à la ferme » . Enfin, la deuxième proposition est déjà expérimentée par des pays appartenant à l’espace européen semences (la Suisse) ou respectant la réglementation U.P.O.V. (Brésil, Inde…). Sa mise en place semble donc pouvoir se faire sans bouleverser la cadre légal actuel et nécessite aussi la participation des acteurs concernés.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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CHABLE Véronique, 2003, Quelles semences pour demain ? L’écologiste n°10- 4(2) : 26-29